Que représente cette maladie pour vous aujourd’hui ?

J’ai une amyotrophie spinale et une neuropathie axonale qui ont été diagnostiquées quand j’étais au collège. La santé peut aller très bien puis du jour au lendemain elle peut se détériorer très vite. Je suis dans une incertitude totale, ce qui me paralyse un peu dans mes décisions. Je ne vais pas me plaindre, j’ai une relative autonomie dans mes déplacements, je peux marcher, au pire avec une canne mais j’ai plus d’autonomie qu’une personne qui est réellement en fauteuil roulant.

J’ai appris à travailler différemment. Je pratique la sophrologie, cela m’aide beaucoup. C’est tout un travail sur soi, avec un peu de respiration. Avec un peu de décalage avec la réalité, j’arrive à passer outre.

Je suis aussi beaucoup plus dur que les autres sur certaines choses. On se blinde. Quand on passe tant de temps à l’hôpital, dans des pavillons pas forcément réjouissants avec des gens en train d’agoniser, soi-même on prend du recul. Mais quand on voit à la Fac des jeunes qui ont fait la fête la veille et qui se plaignent d’être fatigués, là, ça me dérange. Ces personnes-là ont le choix de s’amuser et je n’aime pas forcément les gens qui sont en train de pleurer sur leur sort car soi-même, on a du mal à se rassurer.

 

A quel niveau d’études êtes-vous ?

J’ai 25 ans, et je suis actuellement en 2e année d’histoire à l’université, tout en étant en recherche d’un emploi. J’ai passé un Bac STT en Comptabilité Gestion et j’ai un BTS Transports.

 

Qu’est-ce qui a changé pour vous à l’annonce de la maladie ?

À l’école primaire, j’avais beaucoup de difficultés en écriture et en EPS, je courais encore à l’époque mais c’était dur. Je n’y accordais pas plus d’importance. Je m’étais convaincu que j’étais gros, je me disais : « l’écriture c’est comme ça, j’écris mal et cela ne changera pas. » J’arrivais à la maison avec les bas de mes pantalons déchiquetés, avec des mots sur le carnet de correspondance : « il écrit comme un cochon, il faut qu’il recommence ». Je recommençais jusqu’à 21h, avec tous les soirs ma mère derrière moi. Ma mère m’avait emmené consulter plusieurs médecins qui parlaient de problèmes aux tendons d’Achille. Puis un professeur d’EPS lors de ma deuxième 6e, un professeur un peu plus curieux, plus intrigué, nous a dit qu’il fallait consulter car la capacité du corps à faire des mouvements n’était pas bonne. Il avait remarqué des problèmes importants lors des courses à pied, dont un manque de puissance et de vitesse. Un spécialiste a posé le diagnostic : « vous avez une maladie neuromusculaire ». À 12 ans, qu’est-ce qu’on peut en penser ? Honnêtement rien, on ne réalise pas. Il y a un temps où on découvre la maladie, le temps qui passe : c’est un temps d’inertie. L’annonce du handicap nous mûrit, on se rend compte que la vie va être un peu plus dure, on ne réalise pas franchement. C’est en progressant, en voyant les difficultés qui allaient croissantes que je me suis dit : « il faut que tu grandisses, parce que si tu continues à nier le problème, tu ne vas jamais avancer ». J’ai eu cette réflexion dès le collège. Avec la croissance, les choses ont été un peu plus compliquées pour moi. On n’a pas la même vision du monde, on se trouve des centres d’intérêt qu’on n’aurait pas forcément eu si la maladie n’avait pas été là.

 

Comment s’est passée votre adolescence ?

La période la plus critique a été celle du collège et du lycée, le passage de l’adolescence où on se cherche physiquement. On a le désir de plaire et c’est là que cela commence à faire mal. Il y a de grands moments de solitude profonde, où on se sent incompris. On ne peut pas faire certaines choses, ce que l’on veut, on vit dans une sorte de cocon. L’esprit veut mais le corps ne veut pas. On aimerait faire comme les copains mais on ne peut pas. Moralement, c’est une période qui est assez dure car en plus il faut que les autres intègrent qu’on n’est pas tous pareils. Être malade, c’est quelque chose qui fait peur à certains : « s'il est malade, c’est qu’il est contagieux ». Il n’y a pas de transition enfant-adolescent-adulte, on a un corps de 14-15 ans mais une réflexion plus poussée, ce qui est difficile à gérer par rapport aux autres. Moi il faut que j’anticipe et c’est là que le décalage se fait mal. On se rend compte qu’on a un pouvoir d’analyse qui est différent, une capacité qui nous met toujours en décalage.

 

Quelles ont été les répercussions de la maladie sur le parcours scolaire et comment avez-vous défini votre projet de formation et d’orientation ?

Après le diagnostic, j’ai rapidement eu des aides. Il a fallu que j’apprenne à me servir d’un ordinateur. Cela change la scolarité de passer du stade de l’écriture à taper sur un ordinateur. Ma maladie a fait changer mes relations avec les professeurs. J’ai dit aux professeurs que je ne voulais pas de traitement de faveur : la notation doit être la même pour tous ; ce qui change c’est l’ordinateur, c’est tout.

L’orientation s’est posée fin de 3e et cela a été difficile. J’étais toujours très attiré par la nature et la forêt : quand j’étais petit, mon grand-père m’emmenait avec lui pour chercher des champignons. C’était le truc qui me faisait rêver par-dessus tout, l’exploitation forestière. J’ai été voir un COP (Conseiller d'Orientation Psychologue) qui m’a conseillé une école forestière. J’ai été avec ma mère aux portes ouvertes et par rapport à ma maladie, ils m’ont mis en garde quant aux difficultés que je pourrais rencontrer. Mais ils m’ont dit : « si votre dossier est satisfaisant et si vous venez chez nous, on fera tout pour vous faciliter la scolarité : vous aurez droit à une personne pour vous accompagner sur les chantiers ». Le rêve était alors à peu près accessible, à portée de main mais finalement par prudence, j’ai choisi une seconde générale. Si ce n’est pas le bon choix, après on reste dans une formation trop spécialisée, on risque de rester prisonnier  si cela ne se passe pas bien, on est coincé. Je n’ai pas été influencé dans mon choix, c’est la maturité qui m’a conseillé la prudence. Il faut garder une certaine sécurité, et cela, on en prend conscience progressivement. Par l’échappatoire de la seconde générale, je reculais un peu ma décision.

Le passage à la seconde a été dur : le rythme est plus rapide, on attend beaucoup d’autonomie de l’élève. Moi, c’est le rythme qui m’a touché le plus car en parallèle il fallait que j’ai des séances de kiné tous les soirs, plus des exercices qui sont bons pour mon corps, que j’ai appris et que je fais aussi à la maison quand j’ai 5 mn. C’est parfois une heure tous les soirs, à ne s’occuper que de soi ; après, il y a le travail scolaire. On n’a plus de relations avec les copains.

J’avais toujours un ordinateur sauf pour les matières scientifiques mais, à partir de la seconde, une AVS me prenait des notes. Il y a une AVS que j’ai gardé deux ans et après, j’ai changé en 1ère et en terminale. Avec la première AVS, au début, on était en conflit ; elle avait un caractère fort mais après réflexion, j’ai eu beaucoup de chance de l’avoir : elle me prenait les notes mais m’aidait aussi en maths où j’avais beaucoup de difficultés.

La seconde a été très difficile mais je m’accrochais, je n’avais pas le choix, j’étais le dos au mur, il fallait que j’avance. Je n’avais pas abandonné l’idée de l’école forestière.

Fin de seconde, le COP m’a dit que mon dossier passerait largement pour accéder à l’école forestière mais finalement je n’ai pas été admis à cause de mes notes en matières scientifiques qui n’étaient pas satisfaisantes. J’ai eu un choc. Que faire ? Le littéraire, ça n’ouvre pas beaucoup de portes. Il ne restait plus que la 1ère STT. Ça me plaisait, ça donnait déjà un aperçu de la vie réelle, il y avait des cas pratiques en comptabilité/gestion, ça donnait des bases pour le monde professionnel. Mais c’est vrai que je n’étais pas parti pour ça.

Quand on était retourné aux journées portes ouvertes de l’école forestière, ils avaient commencé à me prévenir mais ils ne m’ont jamais cassé mes rêves. « Tu as des ressources pour faire ça, le mental suivra toujours, tu es intelligent mais le problème c’est que c’est un métier de terrain, c’est ton rêve mais est-ce possible ? » Je les ai écoutés car j’avais confiance. On ne peut pas se lancer dans un projet s'il est voué à l’échec. J’avais commencé à me rendre compte que physiquement, ça allait coincer mais si on est lucide dans sa détresse, on ne se l’avoue pas forcément. Et c’est là qu’est le problème : en ne voulant pas se l’avouer, on se construit des barrières. J’ai parfois besoin que l’on me dise la réalité de façon violente et celle qui m’a le plus ouvert les yeux c’est ma sœur, elle m’enlève les barrières. Avec ma sœur qui a 7 ans de plus que moi, il n’y a pas de tabou, on peut parler de tout. Quand je fais une erreur, elle me le dit clairement mais elle n’est pas dans la proposition, elle est dans la suggestion.

J’ai redoublé ma première car j’ai eu des ennuis de santé, j’ai dû rester chez moi très longtemps, 6 mois à peu près. J’avais des cours à domicile, j’ai suivi la scolarité à distance. J’avais quand même tenté de passer le bac français en première année mais quand je me suis présenté, rien n’avait été prévu pour que l’épreuve soit aménagée. Pour l’oral, ils m’ont fait monter à l’étage à pied : je suis arrivé trop fatigué. Je ne l’ai pas eu mais cela n’avait guère d’importance puisque je savais d’avance que c’était perdu : le français, je n’avais pas pu le travailler, me consacrer à fond dessus.

 

Quelles ont pu être les difficultés ou effets facilitateurs rencontrés lors de la transition études secondaires-études supérieures et lors de votre parcours dans l’enseignement supérieur ? Les incidences de votre maladie ?

Pendant la terminale, j’ai eu de nombreuses absences parce qu’il y avait des moments où je coinçais un peu physiquement, des moments où j’avais besoin de me retrouver un peu tranquille parce que j’en avais marre, me reposer aussi. Des fois, je prenais sciemment la décision de rester à la maison, je prenais un peu de retard mais je voulais me rassurer moi-même. Et puis il y avait le stress : quoi faire après le bac ? J’ai anticipé le post-bac et j’ai été prendre des renseignements dans un lycée préparant à un BTS du transport. Si j’avais mon bac avec des résultats satisfaisants, ils me prenaient. Mon bac obtenu, j’ai été admis et l’équipe pédagogique m’a proposé des aménagements : j’étais délesté de certaines matières et je pouvais passer le BTS en trois ans. Je me suis concentré sur certaines matières dans l’optique de ne pas me faire mal physiquement ; il fallait que je lève le pied, mais dans ma tête, j’étais parti pour l’avoir en deux ans. La professeure des matières principales mettait tous ses cours sur une clé USB, j’avais une AVS qui me prenait des notes pour tout ce qu’il était impossible de faire à l’ordinateur et j’avais aussi le soutien d’une association d’aide aux étudiants handicapés pour les matières scientifiques. L’équipe pédagogique était à l’écoute, elle était compréhensive, dans un esprit positif. Je n’ai jamais rien caché de ma maladie. Mon souhait, c’était que je devienne un exemple pour qu’après, le transport ne soit pas un métier tabou pour quelqu’un qui a un handicap, car c’est un milieu assez fermé. J’ai finalement eu mon BTS en deux ans. C’est passé tout juste à 10, mais les oraux et le dossier de pratique se sont bien passés.

J’étais conscient, avant de rentrer dans cette formation, que trouver des stages serait compliqué, plus dur que pour les autres. J’ai essuyé de nombreux refus. J’avais contacté plusieurs transporteurs par téléphone, par mails mais ils ne voulaient pas me prendre parce que j’étais un peu différent, ça leur faisait peur. Finalement, l’association m’a mis en relation avec la dirigeante d’une entreprise de transport qui m’a accepté, parce que c’est la personne qui l’intéresse, qu’il soit en fauteuil, avec une canne ou autre. C’est rare de trouver des personnes comme ça. J’ai pu faire mon premier stage, trois semaines la première année, et j’y suis retourné cinq semaines la deuxième année, avec des horaires quasi-normaux. Il n’y a pas eu besoin d’aménagements spécifiques, il y avait des plans inclinés partout pour emmener les palettes et les pentes sont les mêmes que les normes handicap, tout était de plain-pied. J’ai participé à toutes les activités de l’exploitation et j’avais une certaine autonomie. C’était un rythme très soutenu : on peut passer une semaine calme et la semaine suivante ça peut être l’enfer. C’est un milieu où il y a beaucoup de stress, il faut apprendre à gérer les problèmes, les tourner en dérision, connaître ses limites, sinon je bloque physiquement. Mais c’est un métier que j’aime parce que c’est une sorte d’évasion, c’est la route, s’évader, téléphoner un peu partout. J’ai également fait un stage dans une autre entreprise de transport où  j’ai eu à monter un projet informatique.

Après le BTS, j’ai été contacté par l’association d’aide aux étudiants handicapés qui m’a parlé d’un appel à candidature pour une personne handicapée qui aurait un BTS transport ou logistique pour passer une licence pro en alternance avec des laboratoires de cosmétiques. J’ai tenté. Cela a été une très bonne expérience mais j’ai dû arrêter au bout de 5 mois parce que la santé ne suivait pas. Il a fallu quitter le domicile, trouver un appartement près de l’entreprise, assumer tout seul, gérer ma maladie. On se rend compte beaucoup mieux de ce que les parents font pour nous quand on est tout seul. C’est la réalité pour n’importe quel jeune, qu’on soit handicapé ou pas, mais j’avais une formation à gérer qui était trop conséquente, avec un rythme vraiment soutenu et pas d’aménagement, aucune possibilité de me dispenser d’un certain nombre de cours. Pour les temps de formation, je revenais chez mes parents, j’étais tellement épuisé que je dormais entre midi et 2h. L’alternance pesait quand même beaucoup physiquement, conjuguée à mes séances de kiné et d’autres soucis à côté. L’entreprise a joué le jeu du côté des aménagements pour le poste de travail :  j’avais le vendredi qui était dégagé pour avoir un 80%, alors que j’étais quand même rémunéré ;  on avait aussi envisagé un télétravail à la maison dans le cas où je serais trop fatigué. Je me suis vu confier des responsabilités, j’étais bien intégré dans l’équipe. Professionnellement, c’était vraiment bien. Mais quand je revenais à l’appartement et qu’il fallait en plus de la journée de travail me replonger dans les cours… Début janvier, j’étais persuadé que ça allait casser à un moment, je ne l’avais dit à personne, puis j’ai arrêté. Ce fut peut-être un projet trop brusque, une multiplicité de choses. Finalement, au bout du compte, je n’aurais peut-être pas dû, mais je ne regrette pas. Pour moi, ce n’est pas un échec, parce que j’ai appris beaucoup de cette expérience, j’ai pu en tirer des enseignements.

Après, je me suis rebâti un physique. J’avais perdu beaucoup de poids, du muscle parce que je ne me consacrais plus assez de temps. J’ai eu besoin d’un temps de latence, de recul puis j’ai repris des études à la Fac en histoire. C’est intéressant mais le monde universitaire, c’est spécial. C’est difficile de travailler avec des étudiants avec qui j’ai cinq ans de différence. On n’a pas la même façon de voir les choses, de travailler, d’aborder la vie. Ce qui leur fait peur ne me fait pas peur. À mon arrivée, j’ai été voir le service « handicap » de l’université et je bénéficie d’aménagements mais je ne me sers plus de l’ordinateur, le rythme des cours est trop important, j’ai un preneur de notes. La fac, c’est une transition, ce n’est pas vraiment pour construire un projet. Si j’ai la licence, tant mieux, mais le master, ce n’est pas à ma portée parce que je n’ai pas de ressources physiques suffisantes. Je n’aime pas trop me projeter dans l’avenir non plus, l’avenir est fait d’incertitudes, je ne sais pas si je vais garder la marche ou la perdre. C’est un peu l’épée de Damoclès, c’est dur à porter par moment mais j’arrive à vivre avec.

Mon aspiration, c’est de travailler, pas de rester chez mes parents. Je vais sur mes 25 ans, j’ai plein d’amis qui ont mon âge, qui travaillent, qui sont mariés, qui ont des enfants. Je n’ai rien de tout ça. J’ai beau être différent, c’est une volonté que l’on a d’accéder à tout cela. Et moi aujourd’hui, c’est plus là-dessus que je suis ancré. Donc parallèlement à la Fac, je recherche un emploi, j’aimerais soit trouver un travail administratif tranquille à proximité, soit dans le transport. Le transport, ça me colle toujours à la peau. Quand je suis sur l’autoroute, la première chose que je fais, c’est de regarder les camions. C’est un monde, c’est ma conception mais est-ce que je pourrais tenir ?

Au fil des ans, je n’ai plus la même vision des choses : depuis la dernière expérience de l’alternance, j’ai réfléchi, j’ai mûri, je ne veux pas me précipiter partout. Il faut bien réfléchir avant de faire un choix. Si je trouve un emploi, je suis prêt à partir du domicile de mes parents mais je ne veux pas accumuler les contraintes : j’ai un peu moins de résistance que les autres.

Mise à jour des liens 28/06/2017

Élèves à besoins éducatifs particuliers (BEP)
Un accompagnement pédagogique spécifique est destiné aux élèves qui ont des besoins éducatifs particuliers

Circulaire n° 2015-129 du 21-8-2015 : Unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis), dispositifs pour la scolarisation des élèves en situation de handicap dans le premier et le second degrés

Arrêté du 2-4-2009 - J.O. du 8-4-2009 : Création et organisation d'unités d'enseignement dans les établissements et services médico-sociaux ou de santé

Circulaire n° 2017-084 du 3-5-2017 : Missions et activités des personnels chargés de l'accompagnement des élèves en situation de handicap

Aménagement des examens ou concours pour les candidats présentant un handicap : textes officiels : Dossier INSHEA

Loi du 11 février 2005 sur l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées
(voir en particulier l'article 19)

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