Pourquoi la question se pose aux pédagogues

Les troubles de santé invalidants et notamment les maladies chroniques représentent un éventail très large de pathologies. Il faut ainsi éviter toute généralisation. On peut noter toutefois que ce type de pathologies comporte le plus souvent aussi bien des aspects invisibles que des aspects visibles. Il existe également des maladies « invisibles », qui ne sont pas « perceptibles » voire, dans quelques cas, ne présentent pas de signes cliniques.
Ici le terme « invisible » est pris au sens courant. La visibilité de la maladie n'est pas la même selon qu'on est médecin et qu'on peut repérer les indicateurs et signes de la maladie par l'examen du malade, ou membre de la communauté éducative en général.
La prise en compte des répercussions scolaires des aspects invisibles de la maladie en termes de démarches pédagogiques adaptées comporte pour l'élève malade des enjeux d'apprentissage souvent insoupçonnés. Les troubles invisibles induits par la maladie peuvent impacter bien plus fortement les apprentissages scolaires que ceux qui sont perceptibles, justement parce qu'ils ne sont pas décelés et qu'ils génèrent des malentendus pédagogiques.
Quelles sont les conséquences sur la scolarité de l'élève de l'existence des aspects invisibles de sa maladie ? Comment l'enseignant peut-il prendre en compte cette problématique afin d'adapter ses pratiques pédagogiques? Quels sont les points de vigilance ?

 

Les aspects invisibles : quelques exemples

Comme pour les aspects visibles, les aspects invisibles peuvent être très nombreux et très variés avec des répercussions plus ou moins notables sur les apprentissages et la scolarité. La fatigabilité, les troubles mnésiques à cet égard ont de lourdes conséquences sur les apprentissages. Il faut néanmoins souligner que des aspects n'affectant pas les capacités cognitives peuvent avoir un impact non négligeable sur la scolarité: il en va ainsi de l'absentéisme occasionné par les soins, de l'angoisse à l'idée d'une récidive ou d'une crise, de l'impatience dans l'attente d'une greffe... Les échéances et impératifs du calendrier médical l'emportent sur les échéances et obligations scolaires. Démotivation, anxiété peuvent être à l'origine d'échecs scolaires.
Un certain nombre de malentendus par rapport à ces aspects invisibles, et de ce fait souvent méconnus, peuvent s'installer : la fatigabilité peut être confondue avec de la paresse, les troubles de la mémoire dus aux traitements avec de la déficience intellectuelle, de la désinvolture, la déconcentration due aux troubles attentionnels avec du désintérêt pour l 'école.
Ceci est d'autant plus vrai que la maladie est parfois complètement « invisible ».

Le cas particulier des maladies « invisibles »
Il peut s'agir de maladies dégénératives au premier stade, mais aussi de maladies dont les symptômes ne se manifestent pas forcément visiblement à l'école (asthme et épilepsie dans les situations où le traitement est bien équilibré, drépanocytose, maladie de Crohn ...). Les élèves qui souffrent de ces affections, s'ils peuvent facilement passer pour des élèves comme les autres, vivent souvent dans la peur d'être « démasqués » ou au contraire, si leur maladie est annoncée, redoutent parfois de passer pour des imposteurs, des malades imaginaires. Si on ne voit pas leur maladie, c'est qu'elle n'existe pas aux yeux des autres. Tout aménagement spécifique à l'école peut alors être vu comme « suspect » par les camarades.
De plus, annoncée alors qu'elle n'est pas visible, elle est d'autant plus inquiétante qu'elle est indécelable et laisse la place à toutes sortes d'interrogations, notamment sur la nature de la maladie, sur sa contagiosité...
Les enseignants, même avertis, ont tendance à oublier l'existence de cette maladie voire à en sous estimer les effets sur les apprentissages.

 

Que faire ?

Nous retiendrons parmi l'ensemble des aspects invisibles ceux qui, parmi les plus fréquents, sont susceptibles d'avoir des répercussions sur les apprentissages et suscitent le plus de difficultés sur le plan pédagogique.

Quand l'élève est accompagné par un AESH (Accompagnant d'Elève en Situation de Handicap), la collaboration avec celui ou celle-ci permet d'aménager au mieux les situations d'apprentissage dans leur diversité (en classe et en sortie scolaire).

1- Tenir compte de la fatigabilité
Les élèves malades, même s'ils peuvent reprendre une scolarité dans le milieu ordinaire, sont susceptibles de présenter une grande fatigabilité. Ils se fatiguent très vite et de façon importante.
Là où un élève valide va fournir un effort minime pour écrire, se concentrer, l'élève malade va en fournir un très important et s'épuiser très vite. Cette fatigabilité peut être consécutive à la maladie elle-même, aux traitements que ces élèves suivent, aux douleurs, aux soins et rééducations qu'ils ont en dehors du temps scolaire et en général à l'ensemble de ces facteurs. Par exemple, la mucoviscidose, les troubles respiratoires et les séances de kinésithérapie quotidiennes qu'elle requiert font que l'élève arrive souvent fatigué, dès le matin en classe. Certains médicaments antiépileptiques peuvent être à l'origine de somnolence et de fatigue. Les suites immédiates des séances de dialyse pour les élèves en insuffisance rénale sont caractérisées par une fatigue majeure. Cette fatigabilité peut entraîner un désinvestissement des tâches scolaires, une déconcentration, voire des attitudes ou postures confondues avec de la paresse (soupirs, endormissements, affaissement, distraction, bavardages...).
Pour réduire les effets négatifs de cette fatigabilité sur les performances scolaires les enseignants et l'équipe éducative doivent aménager d'abord le rythme scolaire et il convient de prévoir en amont de l'accueil et dans le cadre d'un travail d'équipe des temps et un lieu dédiés pour le repos dans la journée. Concernant le rythme d'apprentissage en classe, de manière générale, il vaut mieux proposer des enseignements et des tâches dont le coût cognitif est moindre aux moments où l'élève est le plus fatigable et notamment éviter les évaluations sur ces plages horaires. Des activités motivantes sont toutefois possibles même lorsque l'élève est le plus fatigué. Les informations consignées dans le PAI (Projet d'Accueil Individualisé) ou le PPS (Projet Personnalisé de Scolarisation) permettent de savoir en général quelles sont les périodes, les moments de la journée où l'élève est le plus disponible pour les apprentissages. Mais le dialogue avec l'élève et sa famille reste le moyen privilégié pour adapter le rythme de travail. Des allègements en termes d'emploi du temps scolaire peuvent être proposés pourvu qu'ils entrent dans le cadre d'un véritable projet pédagogique individualisé, cohérent, pensé et évolutif.

2- Prendre en compte les aspects psychologiques : démotivation, troubles dépressifs, anxiété

La démotivation
Vivre avec un trouble de santé invalidant durable, une maladie chronique a parfois des répercussions psychologiques chez l'élève et son entourage dont il ne faut pas sous-estimer l'impact.
Si parfois la maladie amène certains élèves et leur famille à surinvestir l'école, d'autres au contraire peuvent être démobilisés, tant les préoccupations concernant leur santé sont vives. Le projet scolaire de ces élèves peut passer pour eux au second plan. Certains peuvent devenir « décrocheurs », mais d'autres sont présents en classe tout en étant absents intellectuellement.
Un travail axé dans un premier temps sur les disciplines où l'élève est en réussite, sur les activités ou projets qui le motivent doit être privilégié, même si ces disciplines ou ces projets semblent éloignés du projet d'orientation.

Les troubles dépressifs
La démotivation de certains jeunes malades peut être un des signes d'une véritable dépression. Il faut savoir si l'élève se mobilise et s'investit dans d'autres domaines que le domaine scolaire, s'il a des amis, si dans la cour il n'est pas isolé. Il appartient à l'enseignant et à l'équipe de signaler à la famille, au médecin scolaire les signes repérés (Voir fiche "Dépressions de l'enfant et de l'adolescent").

L'anxiété
Dans de nombreux cas, les élèves malades peuvent présenter des signes d'anxiété voire d'angoisse. Par exemple, les jeunes atteints de drépanocytose vivent dans la peur permanente d'une crise douloureuse : elle peut en effet survenir à n'importe quel moment, en particulier lorsqu'il y a des échéances symboliques importantes (examens, spectacles). Dans d'autres pathologies, certains jeunes vont redouter l'éventualité d'une intervention chirurgicale ou d'une récidive. Face à ces situations, l'instauration d'un climat scolaire serein peut contribuer à réduire l'anxiété.
Parfois des sous-performances chez ces élèves ne résultent pas d'une mauvaise compréhension des notions ou d'un absence de travail mais d'un état d'anxiété importante qui les parasite sur le plan cognitif.

3- Etayer en cas de difficultés de mémorisation
De « simples » difficultés à mémoriser peuvent être constatées. Ponctuelles ou récurrentes, elles peuvent coïncider avec des périodes critiques de l'évolution de la maladie, être liées aux incidences psychologiques ou encore à la fatigabilité. En outre, des pathologies et des traitements peuvent être la cause de troubles mnésiques. Dans tous les cas, ces difficultés ou troubles fréquents doivent être pris en compte. Il convient de doter l'élève d'outils permettant de soutenir la mémoire défaillante (sous-mains, cahier ou carnet, fiches récapitulatives...), de multiplier les pratiques pédagogiques routinières, les rappels et les démarches métacognitives qui permettent de reconstituer le fil de l'histoire scolaire. Il s'agit également de solliciter différentes formes de mémoires : la mémoire sémantique par une structuration systématique des données ; la mémoire épisodique en variant les contextes d'apprentissage (supports visuels, activités musicales et rythmiques, mise en jeu du corps...) ; la mémoire implicite en favorisant un bon climat de travail.

4- Repérer et prendre en compte la douleur
La douleur, les douleurs ne sont pas à l'école des aspects toujours visibles de la maladie. Les élèves peuvent ne ressentir de douleur que la nuit ou au moment des soins et des traitements, mais ils peuvent aussi cacher qu'ils souffrent physiquement en classe (douleur sourde, lancinante). La douleur, outre le fait qu'elle épuise l'élève, le détourne des tâches scolaires dans la mesure où elle peut devenir obsédante. Seules des situations scolaires très motivantes peuvent la faire oublier pendant un temps limité. Un dialogue avec l'élève et une observation attentive, quand ce genre de conséquences a été signalé ou décelé, permettent à l'enseignant de comprendre les raisons des difficultés scolaires rencontrées. Il peut alors proposer au jeune d'aller à l'infirmerie, le dispenser de certaines activités, différer l'exécution de certains travaux. Par ailleurs, il appartient à l'enseignant, s'il constate ou suspecte des douleurs récurrentes ou intenses, d'alerter la famille et/ou l'équipe médicale.

 

Pour élargir la question

S'informer auprès des professionnels de santé et des enseignants ayant accompagné l'élève sur les incidences de la maladie sur sa scolarité et prendre connaissance des préconisations du PAI ou du PPS sont des préalables indispensables à l'accompagnement de l'élève, notamment par rapport aux aspects invisibles de sa maladie. Par ailleurs, l'instauration d'un dialogue en confiance avec l'élève et sa famille permettra d'affiner la nature des adaptations pédagogiques à mettre en place. Une information à destination des camarades peut rassurer, en sachant que sa mise en place ne peut se faire qu'avec l'accord de l'élève et de sa famille. Ces derniers peuvent d'ailleurs s'y impliquer. D'autre part, les programmes scolaires permettent d'aborder indirectement les problématiques liées aux aspects invisibles de la maladie, notamment sur des thématiques en lien avec les questions existentielles qu'elle suscite. Pour tous ces points, voir la fiche : "Aspects visibles de la maladie : prise en compte à l'école".

 

Récapitulatif des mesures à privilégier

- Appréhender les retentissements du versant invisible de la maladie sur les apprentissages est fondamental.
- S'informer auprès des professionnels de santé et des enseignants ayant accompagné l'élève.
- Se conformer aux préconisations du PAI ou du PPS.
- Aménager le rythme scolaire et le rythme d'apprentissage.
- En cas de maladie invisible, envisager des modalités d'information et des activités pédagogiques visant à rassurer les camarades, dans le respect de la vie privée du jeune malade.
- Favoriser l'acceptation par les pairs des adaptations spécifiques.

16/03/21

Circulaire n° 2015-129 du 21-8-2015 : Unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis), dispositifs pour la scolarisation des élèves en situation de handicap dans le premier et le second degrés

Circulaire n° 2017-084 du 3-5-2017: Missions et activités des personnels chargés de l'accompagnement des élèves en situation de handicap

Aménagement des examens ou concours pour les candidats présentant un handicap : textes officiels : Dossier INS HEA

Maladies Rares Info Service : Un dispositif de téléphonie dédié aux maladies rares notamment celles atteignant les enfants et adolescents, ayant pour mission l'écoute, l'information et l'orientation des malades, de leurs proches et des professionnels.

Vivre avec une maladie rare : aides et prestations pour les personnes atteintes de maladies rares et leurs proches (aidants familiaux/proches aidants): ce Cahier Orphanet est un document qui a pour objectif d’informer les malades atteints de maladies rares ainsi que leurs proches de leurs droits et de les guider dans le système de soins.

 

 

 

 

Comprendre l'enfant malade : Du traumatisme à la restauration psychique.

GRAINDORGE, Catherine. Comprendre l'enfant malade : Du traumatisme à la restauration psychique.
Paris : Dunod, 2005. 187 p.

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