Le temps, les temps, tant de temps

Le dictionnaire définit le temps comme “Milieu indéfini où paraissent se dérouler irréversiblement les existences dans leurs changements, les événements et les phénomènes dans leur succession” (Petit Robert). Dans le domaine des sciences, le temps est une “Grandeur physique continue permettant de situer la succession des événements dans un référentiel donné” (Futura Sciences).

Pourtant, dans notre vécu, il n’y a pas un temps unique, désincarné, extérieur aux circonstances et l’installation de la notion de temps chez l’enfant se construit par la coordination d’expériences multiformes. 

Le poète nous rappelle cette dimension subjective du temps.

 

Tant de temps

 

 

Le temps qui passe

Le temps qui ne passe pas

Le temps qu'on tue

Le temps de compter jusqu'à dix

Le temps qu'on n'a pas

Le temps qu'il fait

Le temps de s'ennuyer

Le temps de rêver

Le temps de l'agonie

Le temps qu'on perd

Le temps d'aimer

Le temps des cerises

Le mauvais temps

et le bon et le beau et le froid et le temps chaud

Le temps de se retourner

Le temps des adieux

Le temps qu'il est bien temps

Le temps qui n'est même pas

Le temps de cligner de l'oeil

Le temps relatif

Le temps de boire un coup

Le temps d'attendre

Le temps du bon bout

Le temps de mourir

Le temps qui ne se mesure pas

Le temps de crier gare

Le temps mort

et puis l'éternité

 

Poèmes et Poésies,

de Philippe Soupault.

Éd. Grasset, coll. « Les Cahiers rouges », 1987

 

Pour les élèves malades, il y a deux aspects importants concernant la question du temps :

 

→ les conséquences de certaines maladies sur le développement de la structuration du temps

→ le rapport au temps que peut induire la maladie.

Ces éléments spécifiques entraînent des besoins éducatifs particuliers auxquels l’école doit répondre.

 

Besoins éducatifs particuliers

 

Les répercussions des maladies sur la scolarisation peuvent entraîner des besoins éducatifs particuliers (BEP). Pour l'école, il s'agit en premier lieu de faciliter l'accès aux apprentissages pour les élèves, qu'ils soient malades ou non, en mettant en oeuvre des pratiques bénéfiques à tous (voir les fiches de la rubrique jaune "Rendre l'école accessible"). Mais pour certains jeunes malades, des aménagements spécifiques doivent être réalisés concernant la vie scolaire et/ou les temps de classe. Il s’agit de leur permettre d'apprendre au mieux de leurs capacités, BEP (Besoins Éducatifs Particuliers) dans un contexte favorable et grâce à des adaptations pédagogiques individuelles ou au sein de petits groupes.

 

La structuration du temps chez l’enfant 

Nous nous référons ici à l’approche neuropsychologique en nous appuyant sur les travaux de Michèle Mazeau. 

La structuration du temps se construit à partir d’un grand nombre de données et joue un rôle par rapport à toutes les autres fonctions cognitives. Dans l’approche neuropsychologique, on s’intéresse à la perception de l’écoulement du temps à partir de changements issus de la succession de moments.

Il existe des délais minimaux pour que deux stimulations sensorielles soient distinguées. Pour l’audition, il faut un écart d’au moins 10 à 50 millisecondes et pour la vision, 100 à 120 millisecondes.

Par ailleurs, notre organisme est soumis à des rythmes biologiques : alternance jour/nuit et nous avons des sensations internes (faim, veille/sommeil), qui participent à notre perception du temps.

 

On distingue trois composantes dans l’organisation du temps :

- l’ordre : succession se produisant entre des événements, selon une suite irréversibles, à l’origine des chronologies ;

- la durée : mesure de l’intervalle entre deux événements. Il existe différentes unités de mesure : 

unités liées aux invariants physiques : années, saisons, jours

unités conventionnelles, socio-culturelles : mois, semaines, heures, minutes, secondes et l’ensemble du calendrier 

- le rythme : qui associe les caractéristiques des deux précédentes.

Perception des trois composantes

L’ordre peut faire partie intégrante du stimulus lors de la mémorisation. Par exemple, il est facile de restituer une liste de 5-6 chiffres dans l’ordre, car cet ordre fait partie de l’information. Il n’y a pas deux informations, l’une constituée de chiffres et l’autre de leur ordre dans la série.

Quand l’ordre ne fait pas partie intégrante du stimulus, il faut le recréer à partir d’indices et de processus déductifs où vont intervenir la mémoire, la logique, le raisonnement déductif, les connaissances pragmatiques. Par exemple, c’est ce qui se produit quand on regarde un film avec des flashes-back.

Les durées sont estimées, plus que perçues. En effet, elles sont évaluées en fonction d’indices perceptifs qui font ressentir des modifications et d’indices liés à l’activité de la personne à travers ses mouvements (déplacements, manipulations, constructions…)   et son activité intellectuelle (opérations mentales diverses, changements d’état d’esprit…)

Plusieurs facteurs influencent l’estimation des durées :

- les durées “vides” (attentes entre deux événements) sont généralement surestimées ;

- l’âge du sujet : chez l’enfant et l’adolescent, les erreurs d’appréciation des durées sont plus fréquentes que chez l’adulte. C’est vers 16 ans environ que les performances dans ce domaine atteignent celles de l’adulte.

- le niveau intellectuel global et la motivation interviennent aussi.

Le rythme : l’enfant peut reproduire un rythme bien avant de pouvoir en dénombrer les éléments. Le rythme favorise la synchronisation sensori-motrice (danse) et améliore les performances de la mémoire.

Au total, on peut dire que la perception du temps fait intervenir des opérations mentales abstraites et complexes (estimations, comparaisons, sériations). L’accès aux notions temporelles est liée fortement au niveau de développement intellectuel global de l’enfant. On peut utiliser des métaphores de l’espace plus concrètes et plus précocement maîtrisées chez l’enfant pour favoriser les représentations du temps.

Enfin, le rôle de la mémoire est central, sans laquelle l’écoulement du temps subit des distorsions ou dans les cas extrêmes peut être aboli.

 

La genèse du temps chez l’enfant

Michèle Mazeau fait ici référence à Piaget.

On remarque tout d’abord deux phénomènes.

1. La notion de temps se rattache à celle de vitesse. On le constate dans le langage. En effet, “aller plus vite” peut signifier :

- accroître la vitesse

- arriver le premier (notion d’ordre)

- prendre moins de temps (notion de durée).

2. Le temps est aussi associé à la distance et à l’espace :

- A la question, “Est-ce loin?”, on peut répondre à 60 kms ou bien à 1h d’ici.

- Les grandes distances s’évaluent en temps (années-lumière).

Le développement du vocabulaire relatif au temps 

Dès 3 ans, 3 ans et demi , l’enfant commence à employer des temps du passé et des mots dont il comprend qu’ils sont liés au temps. Mais il fait généralement des confusions entre les mots de sens contraire (avant/après, hier/demain) jusqu’à 6-8 ans.

La chronologie des récits

Pour la capacité à ordonner des images séquentielles, les études montrent la prégnance des éléments égocentriques (liens entre images et vécu personnel) : avant 7 ans, l’enfant ne réalise généralement pas les relations à partir des indices objectifs. Par exemple, s’il a l’habitude de regarder la télévision le matin avant de partir à l’école, même si une image montre un enfant regardant la télévision lors d’un dîner en famille (ex : avec les indices d’une soupière posée sur la table et de la lune apparaissant dans la nuit par la fenêtre), l’enfant placera l’image en début de journée.

Ensuite il accole les images en commentant leur juxtaposition par des “et puis, et puis, et puis…” qui constituent pour lui une justification suffisante.

Ce n’est qu’après 7-8 ans que l’enfant peut s’appuyer sur des liens logiques et des déductions qui impliquent un ordre temporel.

La durée

Vers 7 ou 8 ans, l’enfant peut concevoir le temps comme homogène, commun à des actions différentes et peut alors apprendre à mesurer le temps et notamment à lire l’heure.

Les notions d’âge

Jusqu’à 6 ans environ, les enfants pensent que les adultes ont toujours le même âge. Ils font principalement une relation entre la taille et l’âge. Vers 7-8 ans, ils perçoivent que l’ordre des naissances détermine l’âge mais ne pensent pas que les différences d’âge se conservent. Il faut attendre l’âge de 8-9 ans pour que ce dernier élément soit compris.

Le calendrier

Le temps qui passe s’organise d’abord comme un avant et un après du moment vécu à un moment donné. Progressivement, l’enfant se repère dans la journée, la semaine, le mois , l’année…

Toutes ces données ne signifient pas qu’il faille attendre l’âge de 7-8 ans pour développer le vocabulaire sur le temps ou l’étude des emplois du temps et calendriers. Dès la petite section, de multiples apprentissages participent à la construction de la notion de temps. En maternelle, il s’agit de passer du temps vécu sur le mode affectif, à une représentation mentale du temps qui va s’appuyer sur la découverte et l’organisation de nombreux repères (emploi du temps journalier, hebdomadaire, calendrier…) À l’école élémentaire, il s’agit de construire le concept abstrait de temps mesurable. L’enfant doit passer de l’intérêt immédiat vers le temps projeté où il sera capable de réaliser une action à l’échéance prévue. 

 

La construction de la notion de temps à travers les apprentissages

A l’école, la prise de conscience du temps se réalise notamment par la réflexion sur le caractère temporel de tout phénomène  en vivant et en étudiant des phénomènes naturels et des événements sociaux :

- les choses ont un début et une fin et les êtres vivants naissent, grandissent, vieillissent et meurent ; il y a des transformations continues, certaines sont irréversibles, ce qui renvoie aussi à la mort (ex : cultures et élevages en classe, ères géologiques ...)

- les choses durent plus ou moins longtemps : observation d’un arbre tout au long de l’année : temps de la floraison, production de fruits, chute des feuilles, âge d’un arbre, chronométrage d’une course en EPS …

- certains événements se répètent à intervalles réguliers : jours de la semaine avec ou sans école, anniversaires, fêtes annuelles diverses, commémorations, histoire de France, ou encore mesure du pouls et de la fréquence cardiaque en EPS.

La prise de conscience du temps s’effectue également grâce à la mise en oeuvre de rituels en classe, qui ont un intérêt particulier pour les élèves malades (voir la fiche Rituels ), par l’étude du vocabulaire sur le temps, par la mise en oeuvre de récits, par l’étude de la conjugaison, par des activités mathématiques (étude des mesures de temps, calcul de durées et technologiques : construction d’horloge à eau par exemple), par la reproduction de rythmes en musique …

Des exemples de séquences abordant la notion du temps sont proposés dans la colonne à droite de ce texte (Voir la rubrique Liens externes). 

Troubles cognitifs et structuration du temps

Certaines maladies entraînant des troubles cognitifs peuvent avoir pour conséquence des difficultés à structurer le temps. Il y a principalement trois situations de ce type :

- certains troubles de la mémoire, 

- des dysphasies 

- des troubles de la structuration spatiale.

Un bilan neuropsychologique réalisé par un neuropsychologue ou un orthophoniste doit préciser les capacités et difficultés de l’enfant.

Des adaptations peuvent être mises en oeuvre à l’école :

- mettre à disposition en permanence un emploi du temps individuel de la journée, illustré de pictogrammes et en couleur si l’élève ne maîtrise pas la lecture

fournir également un semainier ou un calendrier mensuel si l’élève se repère bien dans la semaine, illustré et personnalisé en fonction des activités et des centres d’intérêt de l’élève

- multiplier les traces écrites des activités auxquelles l’élève peut se reporter

- symboliser spatialement l’écoulement du temps (frise chronologique des activités de la classe sur la semaine ou le mois)

- co construire ces outils d’aide avec l’élève, l’inciter à s’en servir de façon autonome

- ne pas le sanctionner pour des retards ou des oublis en lien avec ses difficultés

 

Rapport au temps et maladie

Face aux aléas et imprévus de sa pathologie (crises, rechutes, aggravations), l’élève malade a besoin de trouver des repères temporels. Il s’agit pour lui de se projeter ainsi dans un futur proche ou lointain et de s'inscrire dans une temporalité stable. Dans cette optique, travailler dans le cadre d'un projet est un appui fort. Car cela nécessite d’en planifier le déroulement. L’objectif poursuivi ne peut être atteint sans respecter des étapes clairement énoncées et organisées. 

Réaliser un projet demande du temps, prend du temps. Une temporalité spécifique se construit, s'affine, se structure, même si des réajustements peuvent en faire varier la durée à chaque étape. Lorsque l'élève malade est amené à s'absenter, il ne perd pas pour autant le sens de l'action globale et se retrouve à son retour dans le déroulement prévu pour s'y réinsérer. 

Le temps devient repérable, palpable et crée un cadre dans lequel le projet s'élabore et se réalise. L'incertitude disparaît, le but/l'objet final attendu est connu et situé dans le temps.

De nombreux projets répondent de façon particulièrement pertinente aux besoins des élèves malades. Voir la fiche Projets pédagogiques 

D’autre part dans les cas de maladies graves, potentiellement létales, la question de la mort vient bouleverser le rapport au temps. Ce qui se rapporte à la mort est source d'angoisse, en particulier chez les enfants, puisqu'ils ont du mal à se faire une idée de ce qui est en train de se passer réellement. Voir la fiche Mort : enseigner à des jeunes confrontés à la mort

Récapitulatif des points principaux

Le développement  de la structuration du temps peut être source de difficultés chez certains élèves avec des troubles cognitifs.

Les réponses aux BEP des élèves concernés peuvent consister en l’élaboration d’outils d’aide (traces écrites, emplois du temps, calendriers, frises chronologiques…)

Par ailleurs, le rapport au temps peut être modifié, perturbé du fait de l’évolution imprévisible de certaines pathologies (ex: maladies à crises, maladies potentiellement létales…) La pédagogie de projet peut permettre aux élèves de se réapproprier une certaine maîtrise du temps, hors de la maladie.

 

La rédaction de cette fiche s’est appuyée sur l’ouvrage de M.Mazeau : Dysphasies, troubles mnésiques, syndrome frontal chez l’enfant Ed. Masson et sur L’école avant 6 ans, Coll. Tavernier, Ed. Bordas.

 

 

16/03/21

Académie de Grenoble :

Structurer le temps en maternelle

La construction du temps et de l’espace au cycle 2

 

Académie d'Orléans : Albums et structuration du temps en maternelle

Académie de Lyon : De la structuration du temps à l’histoire
Le Projet d'Accueil Individualisé

Le Plan d’Accompagnement Personnalisé

Circulaire n° 2015-016 du 22 janvier 2015 (BOEN n°5 du 29-01-2015)

Annuaire MDPH

Circulaire n° 2015-129 du 21-8-2015 : Unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis), dispositifs pour la scolarisation des élèves en situation de handicap dans le premier et le second degrés.

Création et organisation d'unités d'enseignement dans les établissements et services médico-sociaux ou de santé : arrêté du 2-4-2009 - J.O. du 8-4-2009

Circulaire n° 2017-084 du 3-5-2017 : Missions et activités des personnels chargés de l'accompagnement des élèves en situation de handicap.

ORNA L'Observatoire national des ressources numériques adaptées recense des ressources numériques utilisables par des professeurs non spécialisés confrontés à la scolarisation d'élèves en situation de handicap (logiciels, applications tablettes, matériels, sites internet, cédéroms, DVD-Rom, bibliothèques numériques.

Vivre avec une maladie rare : aides et prestations pour les personnes atteintes de maladies rares et leurs proches (aidants familiaux/proches aidants) : Ce Cahier Orphanet est un document qui a pour objectif d’informer les malades atteints de maladies rares ainsi que leurs proches de leurs droits et de les guider dans le système de soins.

Guide pour scolariser les élèves en situation de handicap. Guide élaboré par le Ministère de l'Éducation nationale

D'autres informations peuvent être obtenues par le n° Azur de la ligne « Aide Handicap Ecole » au 08 10 55 55 00.

Loi du 11 février 2005 sur l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées

(voir en particulier l'Article 19)

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