Préambule

L'enfant ou l'adolescent malade reste celui qui connaît le mieux sa maladie. « Il n'a pas toujours les moyens ni l'audace d'exprimer et de rationaliser cette connaissance mais a toujours son idée » (Kipman, Les sortilèges de la maladie, 1981).
Le témoignage de cet adolescent de 18 ans, drépanocytaire homozygote de type SS, originaire du Mali, nous aide à comprendre les besoins des enfants et adolescents malades. Ce jeune est scolarisé en classe de 1ère S (scientifique), avec le projet de devenir programmeur informaticien.

 

Qu'est-ce que cette maladie pour toi ?

« Cette maladie génétique provoque, lors des crises, des douleurs parfois difficiles à supporter. Aucun signe ne permet d'identifier la survenue d'une crise, pour moi comme pour mon entourage. La crise peut ainsi survenir à n'importe quel moment et lorsqu'elle est là, il faut attendre qu'elle cesse. Un effort physique important, des émotions intenses comme la colère ou la tristesse, l'altitude (au-delà de 1 500 m) sont des facteurs déclenchants. Cette maladie, lors des crises, entraîne une fatigue importante. Je dois m'hydrater régulièrement et beaucoup (environ 3 litres d'eau par jour) et, même si je sais que l'absorption d'eau n'empêche pas les crises, elle est indispensable dans mon état. C'est une maladie qui ne se voit pas et bon nombre de personnes ignorantes ne comprennent pas bien qu'on soit obligé, à certains moments, de se reposer ou de s'écarter du bruit ambiant et de l'activité commune. C'est une maladie qui a des répercussions physiques et psychologiques.
Physiques, parce qu'elle impose que je ne fasse pas autant de sport que je le souhaiterais ; parce qu'à certains moments j'éprouve des douleurs dans tout mon corps, au niveau de mes yeux, de mes dents ; parce qu'elle augmente mes troubles de la vision ; parce qu'elle m'impose des traitements comme la prise de médicaments, des hospitalisations régulières pour transfusion sanguine.
Psychologiques, car j'y pense sans cesse. Je me demande pourquoi je suis malade - pourquoi moi ? Lorsque je suis hospitalisé ou contraint à rester couché par exemple, j'ai le sentiment que cette maladie contrôle ma vie alors que je voudrais être maître de mes actions et de mon existence. Je me sens parfois impuissant et découragé parce que je me dis que cela va s'imposer à moi toute ma vie. Mais, à d'autres moments, en dehors des crises, je me sens à nouveau libre, curieux d'apprendre, blagueur. Je suis heureux de retrouver mes amis, garçons et filles, d'avoir des projets comme celui de voyager. D'ailleurs cet été je vais au Japon.
Je pense que la maladie m'a endurci du point de vue émotionnel. Je ne pleure pas facilement, je mets une distance vis-à-vis des émotions. J'ai perdu des amis qui me trouvaient dur et imaginaient que je ne ressentais rien. L'expérience vécue de la maladie m'a sans doute transformé et les autres jeunes de mon âge ne le comprennent pas toujours. J'aime bien plaisanter sur ma maladie ; l'humour me fait du bien ».

 

Qu'est-ce qui t'a aidé dans ta vie de tous les jours ?

« Tout d'abord mes parents, avec lesquels je parle presque tous les jours de ma maladie. Ils me disent ce qui est juste et vrai sur ma maladie, sans chercher à me cacher la vérité. Ils sont attentifs, se soucient de moi mais me font confiance et me laissent des initiatives, comme partir sans eux à l'étranger cet été.
Ensuite les médecins, qui m'ont toujours expliqué, depuis que je suis en âge de parler et de poser des questions, ce qu'était la maladie. C'est essentiel pour moi de savoir et de voir ce qu'on me fait, de comprendre pourquoi, de questionner les médecins sur tout ce qui me préoccupe. Cette connaissance de la maladie m'aide à mieux la gérer, à avoir moins peur. Il ne faut pas rester dans l'inconnu. Les médecins m'ont donné des informations au fur et à mesure que je posais des questions.
Partager mon vécu avec d'autres drépanocytaires. On n'a pas tous la même vision de la douleur et on se rend compte qu'on ne peut pas juger la douleur de l'autre. Avoir le point de vue d'un autre drépanocytaire, savoir qu'on n'est pas tout seul à vivre avec cette maladie, me rassure. On a parfois l'impression qu'on ne peut faire confiance à personne, pas même à ses parents, qu'on est tout seul. C'est d'autant plus appréciable de pouvoir sortir de son isolement, d'échanger avec des personnes bienveillantes, qui ne vont pas nous juger mais nous écouter.
Certains professeurs m'ont apporté des cours photocopiés et sont venus me voir à l'hôpital ou à mon domicile, ce qui m'a touché.
Je parle de ma maladie de façon ouverte avec mes camarades au lycée. La plupart du temps, les autres m'acceptent pour ce que je suis, comme je suis et ne me voient plus comme un malade. Je ne veux pas être réduit à ma maladie. J'ai une personnalité, des capacités intellectuelles et, même si je suis invalide à certains moments, je suis avant tout un adolescent comme les autres. Si j'explique aux autres ce qu'est ma maladie, c'est que je pense que l'ignorance provoque des peurs, des jugements négatifs, des a priori.
Je ne cache pas non plus ma maladie aux filles que je rencontre pour qu'elles m'acceptent comme je suis. Il peut arriver qu'une fille, par peur ou ignorance, me rejette. J'explique que je ne suis pas contagieux, mais cela ne suffit pas toujours à rassurer ».

 

Qu'est-ce qui t'a aidé à l'école ?

« J'ai pris deux années de retard au collège et au lycée, à cause de mes absences répétées, dues aux transfusions sanguines régulières et à mes hospitalisations. Le fait de me donner les cours écrits n'est pas suffisant. Les explications orales des professeurs, la possibilité de poser des questions pendant le cours, les interventions des autres élèves permettent progressivement d'intégrer les nouveaux apprentissages. Privé de ces apports, j'ai eu beaucoup de difficultés à suivre. Il a fallu parfois que je réclame les devoirs à mes camarades. Lorsque j'étais absent pendant un mois, il m'était difficile de travailler seul.
J'ai parfois eu le sentiment que certains enseignants, du fait de ma maladie, avaient abandonné l'espoir de me faire progresser, qu'ils me pensaient incapable de suivre. Ils me disaient de ne pas me casser la tête, que je n'étais pas obligé de faire, que je laisse tomber. Certains évitent de s'approcher de moi, lorsque nous avons un exercice à faire, se montrent indifférents à mon égard.
À l'inverse, les enseignants qui ont des exigences à mon égard, qui attendent de moi des résultats et qui me soutiennent dans mes efforts pour y arriver m'apportent une grande aide ».

 

Qu'est-ce qui est le plus important à dire, pour toi ?

« Il me paraît essentiel que les professeurs aient une connaissance suffisante de la maladie. Qu'ils sachent qu'elle ne touche en rien nos capacités intellectuelles. Pour moi, le fait d'être entouré par des adultes et des camarades qui m'acceptent et qui comptent sur moi est très important ».

Mise à jour des liens 16/03/21

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