Pouvez-vous décrire vos premiers instants dans le centre pour enfants handicapés moteurs dans lequel vous exercez ?

J'ai d'abord été stagiaire, et la première fois que je suis entré au centre ***, c'était le moment de la récréation : il y avait à peu près 30 enfants handicapés moteurs qui sont arrivés vers moi « en courant » entre guillemets. C'était assez impressionnant. Il y en avait certains en fauteuils roulants manuels, électriques, d'autres étaient en déambulateurs ...
J'ai commencé à discuter un peu avec eux, puis à accepter, à leur demande, de jouer avec eux. Les enfants apprécient généralement le contact avec des stagiaires qui sont à une autre place que leurs kinésithérapeutes habituels. J'ai donc joué avec eux au football, au basket, au babyfoot... On se rend vite compte que ce sont des enfants intelligents, capables d'apprentissages, très attachants, avec lesquels échanger est riche et agréable.
Cette première expérience m'a beaucoup appris et c'est ce qui m'a donné la vocation de travailler avec des enfants handicapés moteurs.

 

La prise en charge rééducative des enfants

Il faut adapter les exercices en fonction de la pathologie et de l'enfant, de son âge. Il s'agit de proposer une rééducation d'entretien qui, si elle ne peut supprimer les déficiences motrices, vise à entretenir les ressources motrices, à prévenir d'éventuelles complications secondaires. On retrouve des traits généraux :

S'agissant des enfants infirmes moteurs cérébraux 
On doit prendre en charge des troubles de la posture et du mouvement d'origine centrale : leur lésion périnatale au niveau du cerveau est définitive. On utilise beaucoup les niveaux d'évolution motrice (N.E.M.) décrits et enseignés par Michel Le Métayer. Ces N.E.M. permettent d'améliorer leurs schémas moteurs et d'entretenir les amplitudes articulaires. Par exemple, on guide le ramper au sol : le schéma moteur du ramper est le même schéma moteur que celui de la marche à l'exception de l'équilibre qui n'intervient pas dans le ramper. On peut associer des cibles à toucher avec le talon pour étirer activement les adducteurs et les ischio-jambiers internes. De plus, on ajoute un jouet, ou une tour de coussin à démolir au bout du parcours de ramper. Il faut toujours mettre en place des exercices ludiques pour les enfants.
Des étirements précis suite à des manœuvres de décontraction, des appareillages permettent l'entretien orthopédique. En effet, il faut éviter que leurs muscles ne se rétractent trop et que des déformations osseuses importantes s'installent.
- Quand ils sont tout petits, leurs muscles ne sont pas encore rétractés, leurs os ne sont pas déformés. Ces enfants ont des contractions pathologiques liées à leur trouble central : c'est ce qu'on appelle des troubles primaires. Ils modifient l'équilibre musculaire.
D'où des troubles secondaires qui apparaissent : des rétractions musculaires et des déformations osseuses. De plus, au moment de la croissance, les os grandissent plus vite que les muscles ; ces troubles secondaires sont alors majorés.
Ainsi la rééducation, ou plutôt l'éducation thérapeutique se modifie t-elle avec l'âge. En grandissant, les enfants deviennent réticents à faire du ramper par exemple. Donc on fait des temps plus courts d'exercices dynamiques à base de N.E.M., des temps plus long d'étirements car leurs muscles sont plus rétractés.
Et quel que soit leur âge, on finit toujours la séance par des jeux : du football, du basket, 1-2-3 soleil...

S'agissant des enfants atteints de maladies neuro-musculaires 
Il existe plus de 200 maladies neuromusculaires. En général, il faut prévenir les déformations orthopédiques. La mobilisation passive prend une part importante de la séance. Avant, l'entretien musculaire était proscrit. On pensait que le travail musculaire épuisait les muscles et que cela les dégradait encore plus vite. Les données ont évolué. On s'est rendu compte qu'il faut, au contraire, entretenir les muscles, faire un travail léger avec des protocoles précis. Un travail à outrance les épuise, mais si on ne fait pas de travail, leurs muscles perdent de la force aussi.
La rééducation respiratoire a une place très importante aussi. Il faut entretenir la souplesse de la cage thoracique, permettre le meilleur développement possible des poumons et éviter, retarder le plus possible la diminution de la capacité vitale. En plus des techniques kinésithérapeutiques, des aides techniques sont indispensables : par exemple des relaxateurs de pression (la machine prend le relai suite à l'inspiration, pour entretenir l'ampliation thoracique).

 

Comment avez vous vous-mêmes construit ces adaptations ?

J'ai eu la chance d'avoir un très bon professeur à l'école kiné. Puis j'ai beaucoup lu, j'ai suivi de nombreuses conférences, des formations, j'ai passé le DU en rééducation pour les enfants paralysés cérébraux. Et j'ai aussi la chance d'être moi-même professeur et formateur. On est donc obligé de maîtriser le sujet, d'aller au fond des choses pour pouvoir l'expliquer aux autres. Rééduquer les enfants handicapés moteurs, c'est une vraie spécialisation.

 

Est-ce que parfois vous êtes confronté à un enfant qui baisse les bras, qui ne veut plus faire ? Ou à des soucis de communication ?

Oui, cela arrive qu'un enfant baisse les bras. Par exemple, je rééduque un jeune de 20 ans qui aurait eu la possibilité de marcher, mais il a refusé et souhaité rester en fauteuil manuel. Il ne regrette pas son choix. Il est heureux comme ça, même si c'est difficile pour les transferts (exemple : passer de la voiture au fauteuil roulant manuel). C'est un choix de vie et il faut le comprendre. On n'est pas à leur place. Ce n'est pas nous qui « subissons », « bénéficions » de trois séances de kinésithérapie depuis le plus tendre âge. Sans oublier les nombreuses autres interventions qui s'ajoutent et constituent un emploi du temps bien rempli : ergothérapie, orthophonie, psychologie, soutien scolaire... Sans oublier non plus les contraintes de soin qui s'imposent à eux douloureusement : port d'un corset, opération chirurgicale...
Nous, on est là pour les aider au maximum en fonction de leurs choix. C'est la famille et les enfants qui décident avant tout.

En ce qui concerne les soucis de communication, certains enfants ont des difficultés d'élocution : on les comprend donc petit à petit. L'un des enfants que je rééduque ne parle pas du tout, donc je m'adresse à la professeur des écoles (PE) ou à la psychologue qui communiquent souvent avec lui. Ensuite, il peut avoir un cahier de pictogrammes et il pointe les images. J'utilise plutôt les questions fermées : « est-ce que l'attelle est bien mise ? » ; « est-ce que tu as passé un bon week-end ? » ;
Un autre exemple, dans une école où les enfants ont des troubles du langage : les enseignants ont mis en place un cahier d'échanges avec les parents qui mettent des photos du week-end et écrivent ce qu'ils ont fait. Quand je travaillais dans cette école, avant de prendre l'enfant en rééducation, j'allais regarder dans son cahier pour voir ce qu'il avait fait et on pouvait en parler, c'est une bonne idée !

 

Quels sont les points vraiment positifs de la rééducation ? Les difficultés ?

Les enfants ont vraiment conscience que la rééducation est importante pour eux, même si parfois c'est rébarbatif, voire douloureux (par exemple, suite à des opérations chirurgicales). On est là pour les faire progresser au maximum. Ils le voient bien en général au moment des grandes vacances, quand ils reviennent, ils sont plus contractés, ils ont davantage de douleur, ils se déplacent moins bien. Ils sont alors contents de reprendre la rééducation kinésithérapeutique.
Par exemple, un enfant marche avec de grosses douleurs musculaires. Je le mets de temps en temps sur un gros ballon de gym. Il me dit : « Oh non ! Pas ça !». C'est vrai que sur le moment, ça lui tire le dos pour l'assouplir. Mais dès qu'il descend, il me dit : « Ah ! Ben ça m'a fait du bien finalement ! ». J'adapte mes exercices en fonction des enfants, mais aussi en fonction de leur humeur.

Le problème lorsqu'on intervient là où se trouve l'enfant (à son domicile, à l'école), dans le cadre d'un Sessad par exemple, c'est que l'on se retrouve tout seul dans des salles qui ne sont bien adaptées. J'ai 9 lieux différents pour 14 enfants, que je vois 1 à 4 fois par semaine. Très peu de salles sont équipées. Il faut alors adapter la rééducation en fonction de l'endroit où l'on se trouve et du matériel disponible. C'est plus confortable de s'occuper d'un enfant dans une salle avec table électrique, tapis, ballon de Klein... que dans une pièce de 4m2 qui contient un bureau et deux chaises. Je dis souvent aux stagiaires que nous sommes limités par notre imagination, pour la rééducation. Parfois, il faut beaucoup d'imagination... Ensuite, il y a des inconvénients en tant que kiné au niveau de la manutention qui n'est pas forcément évidente. Quand il faut descendre un jeune de 50kg de son fauteuil, le mettre sur la table, le faire bouger, on peut vite se blesser le dos et les épaules. Mais il existe des techniques de manutention, il faut demander de l'aide quand on travaille entre collègues. Et il vaut mieux faire un entretien musculaire personnel 2-3 fois par semaine en plus.

 

Comme vous vous déplacez dans les collèges, les écoles, chez les gens, vous n'avez pas forcément le matériel que vous auriez dans une salle spécifique ? Comment faites-vous ?

A chaque fois, j'essaie d'emmener du matériel et de le laisser sur place. Par exemple au collège ***, j'ai une table d'examen (celle du médecin) et j'ai emmené deux gros tapis, un gros ballon de Klein, un petit ballon de foot, un coussin triangulaire. Dans un autre collège, je vais dans le gymnase, donc j'ai tout ce qu'il me faut en tapis, ballons ...
Quand j'arrive dans un nouvel établissement, il faut que je me présente, que j'essaie de trouver une salle et ce n'est pas toujours évident ! Il faut souvent s'arranger avec le professeur de musique, d'anglais... Parfois il faut prendre le temps de s'expliquer un peu plus. J'ai par exemple un jour demandé une salle dans un collège pour rééduquer un enfant handicapé moteur, on m'a proposé le grenier au 3e étage !

 

La formation des parents aux soins  

Nous travaillons également à la formation des parents. Nous leur apprenons par exemple comment installer les appareillages et nous leur expliquons en quoi ils sont utiles. Il faut que tout le monde « joue le jeu ». Trois séances de kinésithérapie ne peuvent suffire au travail. Il y a toute une éducation thérapeutique à faire pour l'enfant et pour l'entourage, de même pour les éducateurs dans les internats. Les kinés ont un rôle très important pour transmettre toutes ces connaissances. Quand je vais à domicile, je peux montrer des choses. Sinon, je me fais filmer lors des rééducations et je transmets la vidéo aux parents en leur expliquant bien ce que je fais et pourquoi je le fais, ce qu'ils apprécient.

 

Si vous aviez à donner quelques conseils à un collègue qui n'a jamais travaillé avec des enfants handicapés moteurs, que pourriez-vous dire ?

1- Déjà, se documenter sur la rééducation des enfants handicapés moteurs.
2- Echanger avec les autres professionnels, et ne pas rester seul (je pense en particulier aux autres kinés, à l'ergothérapeute, la psychologue, la neuropsychologue, les enseignants...). Rester humble et accepter les conseils des autres.
3- Bien écouter l'enfant : il faut respecter ses douleurs, ne pas faire mal à l'enfant, surtout lors des étirements.

Mise à jour des liens 16/03/21

Circulaire n° 2015-129 du 21-8-2015 : Unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis), dispositifs pour la scolarisation des élèves en situation de handicap dans le premier et le second degrés

Arrêté du 2-4-2009 - J.O. du 8-4-2009 : Création et organisation d'unités d'enseignement dans les établissements et services médico-sociaux ou de santé

Circulaire n° 2017-084 du 3-5-2017 : Missions et activités des personnels chargés de l'accompagnement des élèves en situation de handicap

Aménagement des examens ou concours pour les candidats présentant un handicap : textes officiels : Dossier INSHEA

Loi du 11 février 2005 sur l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées
(voir en particulier l'Article 19)

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