Pouvez-vous nous parler de votre travail d'enseignante itinérante ?

J'ai 14 élèves à accompagner, du cours préparatoire (CP) à la Terminale, à raison d'une à deux heures par semaine. Ils sont scolarisés dans des établissements ordinaires. Je travaille avec les élèves une heure, excepté avec ceux de début de cycle deux (en grande section de maternelle et en CP) pour lesquels 3/4 d'heure suffisent.
La dominante travaillée, ce sont les mathématiques. Quand ce sont des élèves en primaire, c'est à la demande de l'adulte - soit l'enseignant, soit l'auxiliaire de vie scolaire (AVS) - qui a repéré des difficultés rencontrées dans d'autres domaines, que je reprends avec eux ce qui n'a pas été compris au sein d'un grand groupe, en raison du rythme de classe ou des explications collectives. Quand ce sont des collégiens ou lycéens, ils sont capables eux-mêmes de me dire ce qu'ils souhaitent revoir.
Je consulte aussi leur programme pour faire des séances d'anticipation. Grâce à cette préparation en amont, ils connaissent ce qui va être vu en classe, ils font des liens avec notre activité et les apprentissages sont plus aisés.
Nous reprenons les notions de façon individuelle, différemment, avec des outils adaptés qui sont ensuite réinvestis en classe. Je note tout ce qu'on fait dans un cahier pour l'élève, mais également à l'attention de l'enseignant et de l'AVS, afin qu'ils utilisent à leur tour ce qui a fonctionné.
Les jeunes dont j'accompagne la scolarisation, présentent des troubles associés tels que des troubles du regard, des troubles de l'attention et de la planification. Je travaille aussi avec des enfants qui ont des troubles du langage. Je suis formée pour remédier aux troubles spécifiques du handicap moteur. Le travail s'effectue en individuel, ce qui me permet de remédier le plus finement possible aux difficultés d'apprentissage sans que l'enfant ou le pré-adolescent se sente insécurisé par le regard des pairs posé sur lui.
Je ne me sens pas isolée en Sessad car j'ai mes élèves une heure, puis j'ai un petit temps avec un adulte où je fais le compte-rendu de la séance. De plus, je participe à la réunion institutionnelle avec toute l'équipe pluridisciplinaire une fois par semaine. On utilise aussi beaucoup le téléphone ou les mails pour dialoguer entre collègues, ou avec les parents.
Ce qui est particulièrement intéressant dans mon métier, c'est que, d'une part, il faut respecter l'exigence scolaire du programme de la classe de l'enfant, et que d'autre part, on peut tout de même, avec l'élève, prendre le temps nécessaire à son appropriation des savoirs, sans brûler les étapes, grâce à cet espace en dehors de la classe.
Si l'on voit que, malgré notre aide, c'est trop difficile dans le circuit ordinaire, on discute en équipe et avec les parents de l'idée d'une scolarité plus adaptée en classe d'inclusion scoalire pour déficience motrice (Clis 4).
Ainsi l'élève peut-il travailler avec l'enseignant spécialisé les disciplines qui lui font difficulté, et il suit les autres enseignements dans une classe ordinaire de son niveau et de sa classe d'âge.
Les parents sont souvent réticents à l'idée de scolariser leur enfant en Clis, ils ont parfois peur de le cantonner à un niveau moindre d'exigence scolaire ou de l' « enfermer » en milieu protégé, avec d'autres enfants handicapés. Pourtant, c'est très bénéfique sur le plan de l'identité. C'est positif aussi sur le plan des apprentissages parce que certains élèves refusent pendant longtemps les aides adaptées. Peut-être par crainte de se différencier des pairs valides... et là, ils se rendent compte qu'ils ne sont pas les seuls à les utiliser, que cela leur permet de réussir.
Une fois que le choix de la Clis est fait si l'on estime que c'est la bonne solution, les parents sont très souvent contents de voir que leur enfant « se pose », qu'il retrouve une joie de vivre parce qu'il n'est plus stressé, et qu'il fait des progrès vraiment solides.

 

Pouvez-vous nous parler de quelques élèves, notamment en termes de besoins éducatifs particuliers ?

J'ai une élève très dyspraxique d'ordre visuo-spatial qui n'a pas réussi à monter son calcul mental en se formant des images numériques dans sa tête. La file numérique convenait au CP avec des précautions tout de même, mais après, ce n'était plus possible pour les grands nombres. On a donc beaucoup travaillé avec les constellations, des formes canoniques de 1 à 20. Maintenant, à chaque fois qu'un calcul mental est nécessaire, elle travaille concrètement avec ce support. Au départ, avec le feutre Velléda : s'il fallait faire 5 + 7, elle entourait 5, elle entourait 7 et elle voyait 5 + 5 et encore 2. Elle reconnaissait la dizaine formée par les deux constellations de 5 et savait que 10 + 2 = 12. Petit à petit, elle a utilisé l'outil sans le feutre Velléda, elle mentalise désormais les bonnes quantités qu'elle voit car elle les pointe avec son doigt, et certaines fois, l'évocation mentale peut suffire.
D'autres élèves ont réussi à se départir de ces aides plus rapidement.
Un autre besoin très particulier peut être pointé chez une jeune fille très douée en numération, mais qui présente une dysphasie associée à son handicap moteur, et qui a toujours un manque du mot. Il lui est donc difficile pour elle de nommer les nombres, notamment en milliers. Ensemble, par tâtonnement, nous avons fabriqué un tableau avec 4 colonnes, où chaque colonne permet de décliner le nom oral associé à chaque chiffre écrit dans le nombre. Quand on demande à un adulte extérieur de le lire, ce tableau semble indéchiffrable. Mais avec un an d'expérience, elle l'a mentalisé et il lui suffisait de l'évoquer à la fin de son CM1 pour qu'elle puisse dire le nom correct du nombre.
Au-delà des panels de difficultés ou de troubles associés qui se trouvent, soit chez l'un, soit chez l'autre, la difficulté commune à tous ces élèves serait leur fatigabilité et leurs difficultés de concentration. De façon récurrente, ils sont facilement épuisés par l'énergie qu'ils déploient pour traiter les informations et mettre en œuvre leurs processus cognitifs, ce qui puise dans leurs capacités attentionnelles pour d'autres activités.
Au niveau relationnel, ces enfants sont particulièrement à l'aise avec le monde adulte, ce qui implique une gestion particulière en classe.
Des AVS sont très souvent nécessaires pour les élèves que je suis, parce qu'ils sont vraiment en difficulté à la fois sur les plans gestuel, organisationnel, et pour rester centré sur leur travail.
Je conseille à l'enseignant de donner à l'élève handicapé la même place qu'aux autres élèves.

Vos élèves ont-ils des compétences particulières, des points vraiment positifs qui ressortent ?

Certains développent une mémoire compensatrice énorme. Par contre, c'est plus compliqué pour ceux qui ne peuvent pas le faire : ils doivent conserver des supports visuels comme je l'ai expliqué avec les constellations par exemple.
Ils sont souvent très volontaires et persévèrent malgré les embûches.

 

Avez-vous une pédagogie particulière pour les élèves handicapés moteurs ?

Je pense qu'il faut d'abord aménager sa pédagogie au niveau du contexte : climat de confiance, de bienveillance, d'écoute, et d'empathie sont les mots-clés de notre approche. Il faut ressentir et vivre avec eux.
Ensuite, il faut parfois tout simplement aménager le support proposé en classe : le rendre épuré, surligner certains endroits-clés pour que le regard ne se perde pas.
Enfin, le niveau le plus élaboré consiste à aménager la tâche en elle-même, trouver un autre chemin pédagogique pour accéder à la compétence attendue. En effet, l'objectif visé est toujours de développer les compétences du socle commun. Pour prendre cet autre chemin, c'est là qu'on essaye, qu'on tâtonne et que je puise dans mon expérience.
 

Si vous aviez à donner juste deux ou trois conseils à un collègue qui n'a jamais travaillé avec des élèves handicapés moteurs, que pourriez-vous dire ?

· Faire beaucoup verbaliser les élèves : comme le canal visuel n'est pas une entrée fiable pour eux, ils passent par la verbalisation eux-mêmes. L'enseignant doit aussi verbaliser les différentes actions.
· Être attentif à la qualité des supports proposés.
· Prendre conseil auprès d'autres collègues expérimentés. C'est vraiment la richesse du monde de l'enseignement spécialisé : chaque professionnel peut aussi apporter à l'enseignant qui est auprès de ces élèves.
· Il faut prendre son temps. Si une notion n'est pas installée, il faut retourner aux pré-requis.

On peut parfois être surpris : la littérature sur les mathématiques a longtemps affirmé que le dénombrement était un pré-requis pour passer aux calculs, or nos élèves sont incapables de dénombrer de façon fiable (difficultés pour compter visuellement des items, difficultés pour utiliser leurs doigts, difficultés pour se former des images mentales correctes, etc.). Pourtant, il est possible de leur proposer des solutions qui leur permettent d'accéder au calcul. On se rend ainsi compte que chaque élève a son propre chemin pédagogique à trouver, et que c'est ce qui fait la richesse d'un tel poste.

Mise à jour des liens 28/06/2017

Circulaire n° 2015-129 du 21-8-2015 : Unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis), dispositifs pour la scolarisation des élèves en situation de handicap dans le premier et le second degrés

Arrêté du 2-4-2009 - J.O. du 8-4-2009 : Création et organisation d'unités d'enseignement dans les établissements et services médico-sociaux ou de santé

Circulaire n° 2017-084 du 3-5-2017 : Missions et activités des personnels chargés de l'accompagnement des élèves en situation de handicap

Aménagement des examens ou concours pour les candidats présentant un handicap : textes officiels : Dossier INSHEA

Loi du 11 février 2005 sur l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées
(voir en particulier l'Article 19)

Centres de Référence des Troubles du Langage
Missions et coordonnées des centres de référence pour le diagnostic et la prise en charge des troubles du langage.

L’ergothérapie Site de l’Association Nationale Française des Ergothérapeutes (ANFE)

Handicap.gouv
Informations sur la situation des personnes handicapées en France sur le site du ministère du Travail, des Relations sociales et de la solidarité

Brochure de l'association CSC : sur la scolarisation
L'association a réalisé cette brochure destinée aux enseignants qui ont dans leur classe un enfant ou adolescent atteint d'un syndrome cérébelleux.

Classification des dysphasies selon I. Rapin et S. Allen

Guide pour les enseignants qui accueillent un élève présentant une déficience motrice
Ce guide Handiscol a été publié par le ministère de l'Éducation Nationale en collaboration avec l'INS HEA.

Je vais à l'école
Document téléchargeable rédigé par l'Association Prader-Willi France et concernant l'intégration scolaire dans le cadre de ce syndrome. L'Association peut adresser le livret sur demande (à faire sur leur site web).

L'Unité motrice
Schéma d'une unité motrice fourni par l'AFM

L'épilepsie en classe
Cet ouvrage, préfacé par l'ancien Directeur de la DESCO a été conçu pour être une aide pour les équipes éducatives et pour faciliter l'accueil de ces jeunes.

Enquête et partage