Présentation

Les activités théâtrales désignent ici un ensemble de propositions pédagogiques en lien avec le théâtre : il peut s'agir de sorties théâtrales, d'activités d'enseignement où la dramatisation est proposée, même de façon ponctuelle, en allant de la mise en voix à l'interprétation, en passant par l'improvisation. Et bien sûr de la création de spectacles, de la mise en scène et de l'interprétation de pièces écrites.
Au même titre que les autres, les élèves atteints de maladies chroniques, qu'ils soient ou non reconnus par la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) comme étant handicapés doivent pouvoir pratiquer les arts et s'initier à la pratique artistique, y compris au théâtre. On doit souligner cependant la difficulté induite par les incidences de certaines formes de maladies sur l'accessibilité à ce type d'activités. Pour les professeurs chargés de faire découvrir le théâtre aux élèves malades ou simplement désireux de le faire, il peut s'agir parfois de relever un défi quand il est question de faire pratiquer ce champ artistique et de faire participer aux sorties théâtrales des élèves atteints gravement dans leur santé. Rappelons que l'OMS (Organisation mondiale de la Santé) définit les maladies chroniques comme « des affections de longue durée qui en règle générale, évoluent lentement ». Comment faire jouer au théâtre une personne encore clouée sur un fauteuil ? Est-il souhaitable de mettre en scène un adolescent à l'obésité sévère et de l'exposer au regard des autres ? Comment emmener au théâtre un élève dont la pathologie nécessite une vigilance accrue alors qu'on a la responsabilité d'une classe nombreuse ?

 

Intérêt des activités théâtrales pour les élèves atteints de maladies chroniques sévères

Du point de vue scolaire :
On constate que les activités dramatiques entrent depuis longtemps dans les pratiques des enseignants : elles sont souvent utilisées dans l'apprentissage des langues vivantes et particulièrement en français comme une fréquente modalité de l'enseignement du genre théâtral. Par ailleurs l'étude du genre lui-même concerne les programmes depuis l'école primaire jusqu'au lycée. De plus, l'introduction récente de l'histoire des arts dans les programmes de l'école, du collège et du lycée invitent à étudier les « arts du spectacle vivant » ou « arts de l'espace » dont le théâtre fait partie. Ces activités peuvent entrer dans le parcours artistique et culturel dans lequel doit s'inscrire chaque élève (voir liens dans la colonne de droite). Il est vivement conseillé à ce titre de favoriser les sorties culturelles. La pratique elle-même est encouragée explicitement au même titre que celle des autres arts. Ne pas proposer les activités théâtrales aux élèves malades sous prétexte qu'elles seraient accessoires, c'est restreindre de fait leur participation aux activités scolaires, et les priver d'occasions de montrer et développer leurs compétences.

Sur le plan socioculturel :
Les projets de sorties ou de pratique théâtrale occasionnent des productions de groupe qui permettent d'expérimenter la vie collective, de développer en particulier l'implication individuelle et l'initiative. Les élèves malades souvent isolés ou en relation duelle avec des soignants par exemple, ont besoin plus que d'autres de vivre des expériences collectives. Par ailleurs l'accès aux codes culturels favorise leur pleine participation sociale alors que les fréquentes hospitalisations, voire les hospitalisations au long cours et ce depuis la petite enfance, ont tendance à limiter leurs références et leurs activités.

Du point de vue cognitif :
Les pratiques théâtrales sollicitent en particulier l'intelligence émotionnelle ; elles convoquent en outre des formes d'intelligence multiples. Elles permettent ainsi à des élèves dont certaines capacités sont altérées par la maladie d'apprendre autrement. Ces pratiques favorisent notamment, parce qu'elles lient les apprentissages à l'expérience, la mémorisation et l'évocation. Les activités théâtrales favorisent la mise en relation des connaissances : l'entrée dans ce processus est d'autant plus nécessaire à certains élèves malades qu'ils ont du mal à penser leurs activités dans une continuité, du fait de leur quotidien morcelé (prises en charges médicales diverses, échéances différées et incertaines, pertes de repères ...). Le jeu théâtral peut d'autre part constituer un vécu qui se substitue à ce que l'on appelle l'expérience quotidienne. On peut ainsi poser l'hypothèse que la pratique théâtrale permet l'appropriation des savoirs par l'incorporation au sens propre qu'il suppose.

Sur le plan identitaire :
S'il est vrai que les productions artistiques permettent souvent aux élèves malades de restaurer une image de soi parfois mise à mal, il faut insister sur le fait que le jeu théâtral amène à « s'inventer » soi-même. Parce qu'ils peuvent éprouver leur statut de sujet en devenant auteurs ou acteurs, ils échappent à la réification (chosification) que leur maladie implique. Trop souvent objets de soins ou d'inquiétude, en s'autorisant à créer, ils ne subissent plus, ils agissent. Les expériences théâtrales peuvent constituer une échappatoire utile à l'enfermement individuel induit par la maladie et elles constituent l'occasion de se vivre autrement, d'expérimenter socialement d'autres « rôles » que le sien.

Quelques principes pour faciliter la participation des élèves malades à la pratique théâtrale

Engager des élèves dans la pratique théâtrale reste une entreprise délicate surtout lorsqu'il s'agit d'élèves vulnérables. Le théâtre en effet met en jeu pour l'enseignant comme pour l'élève non seulement le langage verbal mais également le langage corporel. Il s'agit ici de faire jouer le corps et un corps amené de facto à s'exposer, un corps parfois visiblement abîmé, meurtri. Se mettre en scène est souvent perçu par les élèves dont la santé est défaillante et le corps parfois visiblement différent, comme une immense prise de risque voire une épreuve. Il convient de les bien préparer à cette prise de risque et de les sécuriser préalablement pour qu'ils y viennent tout naturellement. Ceci est particulièrement vrai dans le cadre de l'inclusion en classe ordinaire. Quelques principes permettent d'optimiser la pratique théâtrale avec des élèves malades.

Leur proposer un cadre sécurisant :
- Les réticences et les inhibitions doivent être respectées et il n'est pas efficace de « forcer » à jouer : en principe l'exemple et le plaisir des autres suffisent à créer la motivation, pourvu que les propositions d'activités soient accessibles et adaptées aux possibilités de chacun.
- Il n'est pas nécessaire de lancer d'emblée les élèves malades dans un projet à long terme : quelques séances peuvent être l'occasion d'expérimenter, de se lancer et d'« oser » le théâtre. Cependant il est important de proposer une finalité lisible à l'activité et un petit spectacle, même à un public limité, donne du sens et est motivant pour des élèves qui ont le souci de donner du plaisir aux autres et pas seulement du souci.
- Commencer dès le début et ensuite de façon ritualisée par des exercices collectifs de déplacement et par des exercices de diction et de mimes où l'enseignant prend place et s'implique au même titre que les autres participants permet de les mettre en confiance. Chacun prend des risques, chacun s'expose. Ces exercices répétés doivent se faire de façon collective et il n'est pas souhaitable de faire passer d'emblée seul en scène un élève malade au moins au départ. Par la suite, dans le cadre de saynètes ou de sketches, on veillera à ne pas l'exposer seul et à proposer des binômes, des trios etc...
- L'élève malade peut se sentir gêné d'exposer son corps au regard des autres si la maladie occasionne des stigmates -c'est particulièrement vrai à l'adolescence - Le maquillage de scène les accessoires, les masques et les costumes peuvent constituer une aide précieuse. Il faut donc les proposer d'emblée à l'ensemble du groupe classe.
- Le choix du rôle confié à l'élève malade est aussi à réfléchir : on constate que l'élève sera d'autant plus à l'aise qu'il interprétera un rôle de « composition » éloigné de l'image qu'il donne à l'école et de son expérience directe de patient. Pour ce qui concerne la sélection d’œuvres ou de thèmes à aborder on peut toutefois noter que le théâtre étant en soi une médiation didactique, il ne faut pas craindre de faire travailler des sujets délicats en lien avec la maladie ou le handicap.
- Les séances de théâtre doivent autant que possible avoir une dimension ludique afin de dédramatiser le passage en scène. Il est également important de ne pas mettre les élèves en compétition : il faut faire sentir que la réussite au théâtre passe par la performance de toute la troupe, qu'il s'agit d'un jeu collectif où les acteurs ne sont pas en concurrence mais visent la complémentarité. C'est ainsi que les élèves dont la maladie amoindrit quelquefois certaines capacités motrices ou mnésiques pourront montrer qu'ils sont des acteurs tout aussi « utiles « que les autres. La parole de l'enseignant peut aussi, en valorisant toutes les formes de performances, souligner si besoin auprès de tous les élèves de la classe le fait que la « différence » de leur camarade malade est une richesse pour tous et non une occasion de moquerie ou de pitié.

Proposer des modalités variées d'expression dramatique pour favoriser la participation des élèves malades :
Solliciter chez tous les élèves l'imagination et la créativité au théâtre c'est tout d'abord faire découvrir les multiples formes du genre théâtral : mimes, improvisations avec ou sans trame, monologues, chœurs, chorégraphies... Quelle que soit la situation médicale ou psychologique de l'élève malade, cette variété permet à l'élève malade de participer et de faire partie à part entière de l'équipe des apprentis-comédiens.
Il ne faut pas hésiter à laisser faire les élèves malades qui s'emparent très vite du cadre proposé pour lui donner du sens.

Les rendre « acteurs » :
Il est important en outre d'associer les élèves malades aux situations proposées, non pas seulement en tant qu'exécuteurs de « consignes » mais aussi en tant que créateurs des « contraintes » nécessaires au jeu théâtral. Cela suppose que le professeur sache parfois céder sa place et son « rôle » de meneur de jeu. Un travail de réflexion sur la mise en scène mené de façon collective enrichit toujours l'expression dramatique lors des prestations suivantes. Elle permet aux élèves malades, même si leur participation sur scène est minime ou irrégulière, d'intervenir dans le projet collectif.
On constate en outre que solliciter l'expérience des élèves malades, « experts » sur le plan médical dans le cadre de la création de sketches concernant le milieu médical par exemple, mais aussi sur des thématiques indirectement liées à l'expérience de la maladie comme celles de la séparation, de la douleur, de l'angoisse de l'avenir, de la peur de la différence, leur permet de transmettre aux autres leur savoir particulier mais aussi de leur faire prendre de la distance par rapport à leur vécu.

Donner peu à peu sa place au texte afin de ne pas inhiber les élèves malades :
Le théâtre ne se confond pas avec l'interprétation des textes, même si elle en est une dimension importante. Il s'agit de ne pas proposer seulement ce type d'exercice avec des élèves fatigables, en difficulté de parole, de lecture ou de mémorisation. Par ailleurs l'introduction du texte à jouer, qu'il soit théâtral ou non, doit se faire de façon progressive afin de ne pas inhiber le jeu mais de l'impulser.
Commencer par faire interpréter des syntagmes courts, des répliques, des vers, des formes brèves comme les proverbes par exemple, et faire découvrir- par leur mise en scène- la palette des registres paraît un bon moyen de donner sens aux discours, et de susciter la créativité dans les modes possibles d'interprétation. Faire interpréter avec « ses propres mots » des répliques ou tirades de scènes plus longues est un tremplin pour une meilleure mémorisation à terme. L'introduction progressive des textes et leur mise en voix avec consignes de diction et sous forme chorale facilite également leur appropriation.
Proposer l'écriture dramatique : La réécriture de textes dramatiques ou l'écriture par les élèves de répliques ou de trames facilitent également la mémorisation et offre l'avantage de pouvoir s'assurer la participation active des élèves malades lorsqu'ils ne sont pas en état de jouer, notamment lors de leurs hospitalisations.

 

Points de vigilance

Dans le cadre de l'inclusion en milieu scolaire ordinaire, il ne faut pas hésiter à impliquer les élèves malades à l'ensemble des activités proposées. Ces pratiques peuvent bien sûr avoir un caractère optionnel et se faire dans le cadre d'ateliers, y compris celui des ateliers éducatifs de fin de journée.

Quand l'élève est accompagné par un AESH (Accompagnant d'èlève en situation de handicap), la collaboration avec celui ou celle-ci permet d'aménager au mieux les situations d'apprentissage dans leur diversité (en classe et en sortie scolaire).

Les sorties au théâtre doivent être pensées en anticipant la présence des élèves malades, sauf contre-indication. Ceci suppose d'être bien au fait des précautions à prendre, qui sont pour la plupart consignées dans le PAI ou le PPS. Il peut s'agir de la prise de médicaments, de l'accessibilité au théâtre, en particulier des moyens de transport à envisager, de l'installation dans la salle de spectacle. Les sorties doivent donc être anticipées et il faut recueillir en outre auprès de l'élève et de sa famille tous les renseignements complémentaires utiles.

La pratique théâtrale
Pour ce qui concerne leur participation à un spectacle collectif, il faut s'assurer au préalable des conditions dans lesquelles ils pourront effectivement participer : si un élève est susceptible d'être hospitalisé de façon imprévisible, il est nécessaire de confier son rôle aussi à un autre camarade qui sera en quelque sorte sa « doublure ». On peut aussi envisager des rôles « partagés » pour alléger le coût cognitif lié à l'apprentissage des textes. Des projets ambitieux mais courts s'avèrent adaptés. La présence d'un ou de plusieurs élèves malades dans une classe invite le professeur à proposer des activités dont la cohérence s'inscrit sur une courte durée : se lancer sur des projets sur l'année comporte le risque de ne pouvoir y associer les élèves malades sur l'ensemble du déroulement. La mise en scène de saynètes, d'extraits de pièces, la théâtralisation de fables ou de poèmes permettent d'éviter cet écueil. Il est préférable d'imaginer des activités régulières et ponctuelles dans le cadre d'une heure de cours ou durant une semaine, voire un mois.
On veillera par ailleurs à ne confier aux élèves malades que des rôles adaptés à leur degré de fatigabilité.

Favoriser la continuité de la participation
- Par ailleurs, dans le cadre de la continuité du parcours scolaire, il est souhaitable, si l'élève doit repartir à l'hôpital, d'imaginer des moyens pour qu'il reste non seulement informé de la suite des projets théâtre en cours mais qu'il y soit associé : on peut solliciter son avis sur des choix de mise en scène, prévoir qu'il continue de s'entraîner avec des camarades par le biais de visites, quand cela est possible, mais également grâce à des blogs, des réseaux sociaux, la webcam, la visioconférence etc... On peut envisager de lui faire parvenir des enregistrements vidéos des répétitions.
- Le lien à établir avec les enseignants de l'unité d'enseignement ou du dispositif scolaire de l'établissement de soins, comme pour d'autres champs disciplinaires, est fondamental. Etant donné que l'investissement dans les projets de spectacle est souvent très important chez les élèves, il est nécessaire de ne pas ajouter à la rupture que constitue le retour à l'hôpital une rupture de la participation au projet. Celle-ci peut -être vécue comme très douloureuse : l'élève ne se sentant pas à la hauteur de ses responsabilités vis à vis du groupe est alors ramené à sa « déficience ».
- Au retour de l'élève dans la classe, il s'avère utile de prévoir des modalités pour qu'il reprenne naturellement sa place au sein du groupe des apprentis comédiens : on peut envisager par exemple de mettre en place des plages supplémentaires de répétition avec le professeur ou un ou deux camarades lors de la pause du déjeuner ou lors des ateliers éducatifs.
- Dans le cas d'une longue hospitalisation ne permettant pas la participation au spectacle collectif, il est important d'associer l'élève malade aux décisions de mises en scène, de scénographie en amont de la représentation mais aussi de lui transmettre les retours voire l'enregistrement final du spectacle.

 

Récapitulatif des principes à privilégier

- Amener les élèves atteints de maladies chroniques à s'engager dans une démarche artistique est d'une importance capitale. Les activités théâtrales diverses et adaptables sont un support pédagogique à utiliser. Cela suppose chez les professeurs de privilégier certaines attitudes.
- Construire et proposer des activités accessibles, c'est à dire pensées en fonction des ressources (même minimes) de l'élève malade et du cadre et des modalités de scolarisation qui sont les siens : ce qu'il peut faire, ce qu'il sait faire, ce qu'il aime faire. Sans minimiser les obstacles spécifiques qu'on aura pris soin d'identifier, ne surtout pas se focaliser sur les déficiences et le contournement de celles-ci. D'ailleurs la plupart des élèves atteints de maladies chroniques savent les contourner mieux qu'on ne le pense, experts qu'ils sont de leur propre pathologie.
- Mettre l'élève malade en position de sujet et d'acteur, lui donner la parole (quelque forme qu'elle prenne) notamment sur son projet artistique et sa démarche, afin qu'il explore, connaisse et fasse connaître la richesse de ses capacités propres.
- Porter une attention toute particulière à l'inscription de l'élève dans la continuité du projet théâtral et à sa participation effective à toutes les activités y afférant.

19/03/2021

Enquête et partage