Introduction

On parle beaucoup et à juste titre de la force qu’il faut aux patients et à leurs parents pour assumer au jour le jour la maladie. Très peu pensent à la fratrie.

Depuis ces dernières années, les équipes de chercheurs avec les professionnels du champ de la santé et de l’éducation tentent de mieux comprendre comment la fratrie est touchée, atteinte, par la maladie d’un de ses membres afin d’une part de mettre en évidence les risques pouvant compromettre son avenir et, d’autre part, de proposer des modalités de soutien et d’accompagnement. En effet, un constat s’impose : il arrive que ce soit la fratrie qui paye le prix fort de la maladie sans que l’environnement familial, scolaire ou sanitaire ne s’en soit rendu compte suffisamment à temps pour y remédier.

Souvent, les parents perçoivent les besoins insatisfaits des frères et sœurs, mais il leur est difficile de les prendre en compte, tant leur désir d’être « les meilleurs » pour leur enfant malade est prégnant.

L’école peut contribuer à l’accompagnement indispensable de la fratrie en sanctuarisant cet espace dans lequel les frères et sœurs pourraient retrouver leur place d’enfants en se recentrant sur leurs préoccupations propres et ainsi préserver « une vie à l’école pour soi» durant ce temps hors de la famille. Pour cela, il est nécessaire que la communauté éducative s’occupe activement de la fratrie, en ayant au préalable pris conscience de la souffrance qui peut être éventuellement la sienne, pour répondre à ses besoins particuliers.

 

S’occuper de l’enfant indemne et l’écouter

Une maladie chronique occupe majoritairement le champ de la pensée des parents qui ne peuvent masquer leur préoccupation. La maladie d’un enfant de la fratrie devient « la 3ème personne du couple » dont la famille doit s’occuper ensemble.

Par exemple, Sylvie, mère de deux garçons, Damien 17 ans et Adrien 16 ans, atteint de mucoviscidose témoigne : « son frère m’a dit : "le matin, tu ne t’occupes que d’Adrien, tu lui prépares ses aérosols, son sac de cours, tu passes un temps infini pour lui. Pendant ce temps, moi je me prépare tout seul et je me sens délaissé. Il n’y a pas qu’Adrien qui a la mucoviscidose, c’est toute la famille qui l’a, elle s’impose à nous." J’ai alors demandé à Adrien d’être plus autonome, de se prendre davantage en charge et j’utilise ce temps pour aller au restaurant ou au cinéma avec Damien, mais aussi pour discuter ensemble. Et il m’a dit la première fois où nous avons fait une sortie à deux : "enfin, on m’écoute !" (Témoignage extrait du dossier « Fratrie et Mucoviscidose », Bulletin trimestriel Mucoviscidose, Association Vaincre la mucoviscidose, novembre 2006, p. 6)

Parfois, les parents se disent : « Mon enfant est malade, c’est injuste, alors j’en rajoute dans ma sollicitude pour qu’il ait une vie la plus agréable possible ». Les parents et la fratrie deviennent des satellites qui gravitent autour de leur étoile commune, de leur objectif commun, l’enfant malade et la maladie. La fratrie fait « bonne mine » pour rassurer les parents et a à cœur de contribuer au mieux-être du malade. Elle tente de protéger les parents de nouveaux soucis et ne s’autorise pas à exprimer son besoin d’attention, d’écoute ou sa souffrance face au frère ou à la sœur malade.

Or, s’il est difficile d’être un enfant au corps malade, il l’est tout autant d’être le frère ou la sœur de cet enfant. Ce qui affecte un membre de la famille touche les autres. Par exemple dans le cas d’un enfant ayant une malformation cardiaque, l’annonce d’une opération cardiaque équivaut à l’annonce d’un risque pour la vie et est généralement vécue comme un traumatisme pour toute la famille, y compris les frères et sœurs chez qui elle peut réveiller de nombreuses angoisses. Elle remet en question les repères de chacun et introduit la peur de la mort et un sentiment d’insécurité.                                                                         

Les enfants attribuent, en fonction de leur âge, un sens à la maladie teintée de pensée égocentrique, dans une confusion entre réalité et fantasme : « La maladie arrive à cause de moi parce que j’ai voulu que mon frère disparaisse ». Ce type de raisonnement est propre à l’enfance : permettre à l’enfant d’exprimer ses craintes et lui donner les informations sur la maladie de son frère ou de sa sœur pour qu’il comprenne qu’il n’est pas à l’origine de la maladie l’aidera à retrouver une sécurité affective et l’estime de lui-même.

Lorsque la fratrie manifeste ses difficultés, celles-ci sont parfois déniées (« Tout va bien, il adore son frère, même s’il est triste parce qu’il est malade »), banalisées (« Ça va leur passer »), ou laissées sans réponse par désarroi des proches qui ont bien repéré les difficultés mais ne savent pas quoi faire ni comment faire. Ce possible manque d’écoute et de disponibilité des parents et des autres adultes est ressenti de façon douloureuse par la fratrie et peut induire ou réactiver des sentiments d’abandon ou de colère.

La fratrie a besoin que l’on se préoccupe d’elle en parlant d’elle directement: « Et pour toi comment cela se passe ? », « Et toi, comment vas-tu ? ». Communiquer à une personne bienveillante les pensées, les questions (pourquoi y a-t-il des accidents, d’où vient la maladie, qui en est responsable, que ressent-on, qui on est quand on a un cancer, etc.) transforment la réalité traumatique de la maladie qui devient moins menaçante.

L’enfant renonce rarement à savoir. Aussi, pour répondre à ses questions, sans avoir à interroger les adultes, il se transforme en « quêteur d’indices » et en « tendeur de perches » pour, « sans en avoir l’air », poser des questions pourtant peut-être frappées d’interdits.

Il importe donc qu’il puisse partager sa quête d’un sens à donner aux épreuves traversées par sa fratrie et ses parents, en lien avec les autres et sa culture, et non pas en étant isolé dans un repli sur soi, livré seul à un imaginaire menaçant ou destructeur.

 

Les relations fraternelles

La fratrie est un groupe au sein duquel chaque enfant développe ses capacités de sociabilité en ayant une place unique. « Il n’est pas un enfant parmi trois ou cinq, il sera l’aîné ou le benjamin, ou celui qui a devant lui des aînés et, derrière, des puînés : l’enfant, par conséquent, qui se saisit non pas en tant qu’un parmi ses semblables […] mais comme encastré dans un ensemble qui a pour lui une extrême importance parce que cet ensemble délimite sa personnalité, en fait le foyer d’intérêts, de sentiments, d’exigences, de déceptions qui tiennent à la place occupée par lui dans la constellation familiale. […] Il commence alors à se poser la question de son moi par rapport au moi des autres, il devient sensible aux rapports divers qui peuvent exister de façon durable à l’intérieur de la famille. […] La situation d’aîné ou de puîné ou de celui qui entre en concurrence avec un frère plus jeune ou avec un frère aîné a une importance primordiale qui tient aussi à la façon dont les parents peuvent interpréter le rôle lié à cette place.» (H. Wallon, Les étapes de la sociabilité chez l’enfant, Enfance, 1959, p. 14)

La maladie ne détruit pas le lien fraternel et le groupe fratrie mais elle le met à vif, le fragilise et parfois le dépossède de tous ses repères antérieurs : par exemple un deuxième enfant peut devenir un aîné fonctionnel si l’aîné est malade, les parents lui délégant certaines de leurs responsabilités (accompagnement aux rendez-vous médicaux, participation aux réunions diverses, rester auprès de l’aîné pour veiller sur lui ou ne pas le laisser seul, etc.). L’on parle de processus de « parentisation » : les rôles sont inversés, le cadet prend le rôle de l’aîné ce qui risque de susciter des conflits, de la jalousie, une peur de grandir par crainte de « dépasser » l’aîné et d’usurper sa place dans la fratrie. L’enfant non malade est mis en demeure de ne pas manifester sa jalousie, d’éliminer toute rivalité fraternelle dans une situation où elle est exacerbée par le fait que toute l’attention de la famille est captée par l’enfant malade. L’anxiété s’exprime alors surtout au niveau des apprentissages scolaires : les leçons sont mal comprises, mal apprises, les nouvelles notions ne sont pas intégrées chez des enfants qui ordinairement réussissaient facilement.

« Le processus de parentisation » est toujours risqué : « Il n’est pas rare que s’installe une confusion transgénérationnelle lorsque les parents sont secondés, voire remplacés, par les grands-parents ou la fratrie » (A. Chavand, H. Grandjean, M. Vignes, p.5/9).

Lorsque la maladie disparaît, particulièrement après des affections longues, graves, les choses ne sont pas simples. L’absence de la maladie peut être éprouvée comme un vide, avec une absence de repères pour les parents comme pour la fratrie : chacun cherche à retrouver une place et s’y sentir bien à nouveau. Les liens fraternels sont réélaborés et les rôles se modifient.

Le fonctionnement du système familial, antérieur à la survenue de la maladie, a une incidence majeure sur la capacité de cohésion de la fratrie et du couple parental : plus la famille apportait un sentiment de sécurité à chacun par la qualité de ses liens, plus l’adaptation des membres de la famille est possible, renforçant alors la cohésion familiale. Celle-ci favorise l’estime de soi et les capacités de dialogue. (Dussart H., Lambotte I., Van Pevenage C.).

Au travers de l’épreuve vécue avec l’enfant malade, chaque famille mène un chemin unique, qui peut être source d’enrichissement et d’évolution affective (empathie, meilleure prise en compte des besoins des autres membres de la famille, etc.).

 

Quels risques pour la fratrie ?

Le risque majeur pour la fratrie, atteinte par la maladie de l’un des siens, est qu’elle paye le prix fort, surtout si cette souffrance n’est pas entendue. Celle-ci peut s’exprimer à trois niveaux : souffrance de voir leur frère ou sœur malade d'une part, souffrance de voir leurs parents en difficulté, inquiets ou impuissants face à la maladie d'autre part, et enfin souffrance de chaque membre de la fratrie dont la vie est parfois totalement bouleversée. De plus, cette souffrance peut s’exprimer à un quatrième niveau lorsque le lien d’appartenance au groupe de frères et sœurs parait s’effriter derrière la tentative de limiter les occasions de rivalités, rituels, jeux et conflits qui procuraient auparavant le sentiment de sécurité affective et les émotions de la vie en famille. (Bourdon P., Roy J.)

L’enfant malade bénéficie d’attentions multiples (soins, adaptations de son environnement scolaire, accompagnements et soutiens divers) ; ce n’est généralement pas le cas de la fratrie confrontée, seule, en silence, à ses souffrances et au sacrifice de sa vie d’enfant (loisirs, projet de formation, etc.). Le temps donné à leur frère ou à leur sœur malade est un temps qui ne sera jamais « récupérable » pour eux.

Lorsque l’enfant inhibe ses tendances agressives (jalousie, rivalité, etc.) en les masquant derrière la sollicitude, il peut alors refuser l’aide qu’on lui propose car cela confirmerait qu’il souffre de l’ambiance familiale centrée sur le frère ou la sœur malade.

Les manifestations de la souffrance de la fratrie peuvent prendre des formes diverses :

Troubles dépressifs avec repli sur soi et désintérêt soudain pour les activités appréciées d’habitude, refus de voir les camarades, dévalorisation. Cet état dépressif peut être difficile à déceler chez les enfants très sages qui deviennent progressivement passifs, inertes face au monde qui les entoure.

Attitudes régressives chez les plus jeunes (énurésie, attitude de bébé)

Manifestations d’angoisse avec peur de la mort pour le frère ou la sœur malade, pour les parents, ou pour soi. Culpabilité de ressentir des pensées agressives à l’égard du malade.

Conduites auto-agressives : mise en danger, fugue et accidents à répétition.

Troubles du comportement avec agitation (bagarres violentes, dégradations volontaires, vols) pour attirer l’attention sur soi.

Hyper-adaptation à la situation ; l’enfant s’oublie et se plie à toutes les contraintes. L’enfant satisfaisant aux demandes de son environnement (famille, école, etc.), sa souffrance n’est pas perçue et ne pourra donc pas être prise en compte avec le risque d’une dépression plus tard.

 

L’enfant malade et sa fratrie à l’école

L’évolution récente de la politique de scolarisation des élèves à besoins éducatifs particuliers (BEP) a conduit à l’accueil de plus en plus fréquent d’enfants malades. Ce contexte entraîne la scolarisation dans le même établissement des fratries de ces enfants. Les parents peuvent être soulagés de savoir que leur enfant malade ne sera pas « seul » et espérer que la fratrie pourra veiller sur lui au moment de récréations ou de cantine. Du côté des enseignants, il n’est pas rare que la fratrie soit prise à partie pour venir aider « C’est tout de même ton frère ! » ou pour répondre à des inquiétudes concernant son état « Dis, c’est normal qu’il tousse comme ça ? ». Lorsque l’enfant est hospitalisé, les enseignants sollicitent spontanément la fratrie pour avoir des nouvelles et faire le relais pour les devoirs. Rares sont les frères et sœurs qui se rebellent. La majorité répond poliment, n’ose pas refuser leur aide, fait semblant d’adhérer aux inquiétudes des adultes mais quand ils le peuvent, expliquent à quel point cette situation est intolérable.

Le risque est que ces fratries n’existent plus en tant qu’élèves mais en tant que « frère/sœur de.. » et que toute singularité leur soit déniée. Il est préférable que les enseignants, directeurs d’établissement, interrogent directement les parents surtout lorsque l’état de l’enfant est particulièrement inquiétant. Les équipes éducatives doivent porter leur attention à ne pas « parentifier » la fratrie.

« La scolarisation de la fratrie dans le même établissement va de soi pour de nombreux parents du fait de l’habitude de la carte scolaire. Les remarques précédentes sur le vécu des fratries d’enfants malades visent à rappeler toute l’attention à donner aux frères et sœurs sans projeter trop rapidement les desiderata d’adultes. Si les enfants de la fratrie sont scolarisés dans le même établissement, il est essentiel que les parents et les autres membres de la communauté éducative n’imposent aucune obligation d’attention ou de « surveillance » excessive. Chaque situation reste singulière et chaque scolarisation est à penser en fonction de ce que vivent les enfants :

- pouvoir leur en parler séparément et ensemble, pour préparer cette scolarisation

- prévoir des temps pour faire le point régulièrement sur ce qui est vécu par les uns et les autres,

- s’autoriser à envisager un changement d’établissement si la situation était source de souffrance.

Ce sont autant de perspectives à réfléchir pour permettre que ce temps de vie qu’est l’école soit vécu le plus sereinement possible par chacun. » (Romano H., p.150-154)

 

Une ressource : le groupe fratrie

De plus en plus d’équipes de professionnels et d’associations de parents confrontés à la maladie mettent en place des « groupes paroles de fratrie ». « Les études ayant porté sur les effets de ces groupes constatent un bilan positif : l’acquisition de connaissances sur la pathologie apaise les enfants ; les enfants apprennent les uns des autres des modes d’être et de réagir qui les aident à faire face aux difficultés quotidiennes ; une diminution de l’anxiété et un accroissement de l’estime de soi ; une atténuation du sentiment de solitude ; une diminution de la culpabilité. » (Scelles R., p.5-6/7)

 

Conclusion 

Prendre soin des proches de l’élève malade est à la source de l’aide à lui apporter. Selon la qualité du soutien apporté par l’environnement, la famille sera en mesure d’affronter les épreuves et de conduire le jeune vers la réussite scolaire.

 

Récapitulatif des mesures à privilégier

- Agir en considérant le fait que, différemment mais tout autant que l’enfant malade et ses parents, la fratrie est en souffrance, bien qu’elle ne l’exprime généralement pas, croyant ainsi protéger les parents et le frère ou la sœur malade.Être attentif aux manifestations de cette souffrance, pour ne pas laisser la fratrie penser que son existence est moins valable, moins estimable que celle du frère ou de la sœur malade dont tous se préoccupent, au risque d’un désinvestissement scolaire ou d'une dépression.

- Veiller à l’ensemble des modalités favorisant le respect de la place d’enfant pour chacun des membres de la fratrie, tout particulièrement à l’École, en évitant de les « parentaliser », c’est-à-dire de leur faire endosser des fonctions parentales envers leur frère ou sœur malade. Dans certains cas, un changement d’école peut être envisagé si la situation est source de souffrance.

- Favoriser l’accès de la fratrie aux dispositifs et outils mis en œuvre dans l’accompagnement de la famille (rencontre avec l’équipe de soin, information sur la maladie par les professionnels de santé, soutien psychologique, groupe de paroles de fratrie, etc.).

 

Ressources bibliographiques

A. Chavand, H. Grandjean, M. Vignes, « L’adolescent face au cancer et sa place dans la famille », Bulletin du Cancer, Volume 94, numéro 4, 363-70, avril 2007, p. 4-5/ 9.

Scelles R., « Le lien fraternel comme ressource pour subjectiver le handicap », Médecine thérapeutique/ Pédiatrie, Volume 10, Numéro4, 238-44, juillet-Août 2007.

Boucher N., « Frères et sœurs face au handicap », Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, vol.53, n°4, juin 2005, p.186-190.

Bourdon P., Roy J., « Enfants malades ou accidentés, quand l’école va au domicile », Delagrave, 2006, p. 59-62.

Dussart H., Lambotte I., Van Pevenage C., « La fratrie d’enfants opérés du cœur : vécu, adaptation, indications », Neuropsychiatrie de l’enfance et l’adolescence, vol.56, n°7, 2008, p. 468-472.

Romano H., « La maladie et le handicap à hauteur d’enfant; perspectives de prise en charge pour les proches et les intervenants », collection Penser le monde de l’enfant, éditions Fabert, 2011, p.109-117 et 150-154.

21/06/2017

Enquête et partage