Que représente cette maladie pour toi aujourd'hui ?

« Je dirais d'abord que quelque part j'ai de la chance parce que ce n'est pas une maladie grave qui implique des risques pour ma santé. Et en plus, c'est aussi une maladie qui ne se voit pas forcément. Moi par exemple, je gère les tics assez bien, les gens ne les voient pas. Eux, ce qu'ils voient, c'est ce que je dévie. Dévier un tic en fait, c'est le détourner.
Par exemple, avant j'avais un tic vocal très fort, c'était un cri. Je ne pouvais pas faire ça en classe, surtout que les élèves n'étaient pas encore prévenus. Il n'y avait que les professeurs qui savaient. En fait, je l'ai dévié en raclement de gorge, et parfois c'était gênant parce que même les profs prévenus pensaient que je me moquais. Par exemple si jamais ils reprenaient un élève et que moi je me raclais la gorge, ça ne passait pas toujours bien.
Il faudrait prévenir que parfois les élèves qui ont le Syndrome de Gilles de la Tourette (SGT) peuvent avoir des comportements bizarres. Expliquer que c'est souvent lié aux tics. Parce qu'en fait, il n'y a que mes parents qui reconnaissent quand j'ai des tics. Et encore, même parfois...c'est dur de reconnaître. C'est pour ça qu'il faut prévenir les profs que les élèves peuvent faire des choses au mauvais moment. Ca tombe toujours au mauvais moment parce que quand on pense à un tic, souvent ce tic peut se déclencher à ce moment là. Et comme dans des moments de gêne, on se dit, il ne faut pas faire ça ou faut pas faire ce tic là, et bien c'est à ces moments-là que le tic risque d'arriver.
Pour moi, ça a commencé quand j'étais tout petit. Déjà, j'avais des tics moteurs. Quand j'étais assis, je bougeais beaucoup. Et à mon premier tic vocal, mes parents, qui avaient vu une émission sur le SGT, ont reconnu ce que j'avais. Après on est allé voir des experts, le docteur Hartmann et ça nous a permis de savoir que j'avais bien le SGT. J'avais 12 ans. On s'en est aperçu en vacances de la Toussaint. J'étais en 4ème quand j'ai eu le 1er tic vocal. Avant j'avais des tics mais... Quelque part, comme je ne le savais pas, je les retenais mais ça m'était beaucoup plus difficile quand même. Mais je les retenais beaucoup plus, parce que forcément, quelqu'un qui ne sait pas qu'il a ce syndrome, il se dit : « pourquoi est-ce que je bougerais mon bras là ?
C'est comme une envie. Une très très forte envie, mais c'est une envie. Et donc, je retenais quasiment tous les tics. Là je ne déviais pas, je les retenais. Et ça me rendait parfois un petit peu fatigué ».

 

Qu'est ce qu'il s'est passé quand tu as su que tu étais atteint du SGT? Qu'est-ce que cela a changé pour toi ?

« Au tout début rien. Mais après, j'ai reconnu les symptômes dans ce que je faisais. Petit à petit, j'ai eu les premiers tics vocaux. Et ensuite, j'ai eu une sorte d'abattement parce que c'est quelque chose de pénible quand même, même si ce n'est pas dangereux pour la santé. Un jour, j'ai décidé que j'allais m'entraîner à les retenir. Je ne savais pas encore que c'était possible de « dévier ». Sur toute une semaine, je n'ai pas craqué. Même tout seul, je refusais d'en faire. Et puis après, j'ai vu que ça me mettait dans une telle fatigue, surtout que c'était une semaine avec beaucoup d'activités physiques. Je me suis alors dit qu'il fallait que j'en laisse un peu passer. C'est surtout à la maison que j'ai vu qu'il fallait que je me relâche. Mais il ne faut pas se relâcher complètement le soir en rentrant. Ça empire. Cela augmente les tics parce qu'on a presque tendance à se forcer à en faire pour se relâcher.
Je peux dire tout de même que le fait de savoir que j'avais un SGT m'a aidé. Cela m'a appris qu'on ne peut pas lutter contre quelque chose qu'on pense ne pas avoir. Et puis ça m'a rassuré aussi, en fait, de savoir que ça avait un nom et que je n'étais pas le seul à en être atteint.
Aujourd'hui si je devais parler de l'évolution depuis le début de ma maladie, je représenterais une courbe. Ce serait une grande montée au début, parce que ce sont les premiers tics vocaux et que ça avait énormément compté. Je ne savais pas comment lutter contre ça, à environ 11 ans. Et puis il y a eu la période où je me suis dit que j'allais lutter contre et où j'ai développé des techniques. Parfois j'étais tout seul dans ma chambre et je réfléchissais à la façon de bloquer tel tic ou tel autre. A partir de là, la courbe a baissé mais elle était toujours plus haute qu'avant mes 11 ans, forcément, puisque avant cette date, je n'avais pas encore de tics vocaux. A présent, à part le raclement de gorge, que j'ai dévié et qui m'est resté, je n'ai plus de tics vocaux, ou quasiment plus. En tout cas je n'en laisse échapper aucun quand je suis avec des gens. Par contre, j'ai des tics moteurs qui sont encore là. Mais la plupart se voient moins que les tics vocaux. A mon avis, entre un cri dans la classe et bouger le petit doigt, ça fait une différence ».

 

Quelles sont les incidences de ta maladie sur ton parcours scolaire ?

« Déjà, je n'ai pas redoublé, donc ça c'est bien, ça ne m'a pas gêné au niveau des notes. Par contre, il y a eu quelques conflits parfois. Parce qu'au début, je ne le disais pas aux autres élèves. Les gens avaient l'impression que je faisais exprès d'être agité. Certains profs ne se rendaient pas compte que c'était des tics. Par exemple, le tic, ça peut être de me pencher en avant, alors je dévie et je fais tomber le stylo pour le ramasser. Ou alors si j'ai envie de me lever d'un coup, de tendre mes jambes d'un grand coup en me levant, je vais faire comme si j'étais agité et que je devais me lever pour demander ce qui est écrit au tableau. Du coup je parais agité dans ce cas là, mais c'est mieux que si je m'étais levé un grand coup en sautant.
Quand j'étais à l'école élémentaire, j'avais surtout des problèmes à cause de l'écriture et de ma dysgraphie. Quand je me concentre je peux écrire très très bien, mais je ne peux pas faire ça continuellement. En CP par exemple, j'écrivais bien parce que j'avais le temps. C'est plus tard, surtout en CM, à cause d'une maîtresse très exigeante sur la présentation, que ça m'a posé des problèmes.
Aujourd'hui, j'ai un ordinateur et cela va mieux. En fait j'écrivais très lentement pour deux raisons : la première est que comme j'avais des tics, je m'arrêtais sans cesse d'écrire. J'étais fatigué et je regardais partout (parce que j'ai aussi des tics de regard qui ne se voient pas). Là par exemple je viens de regarder l'angle de la télé, c'est un tic. C'est embêtant pour regarder le tableau avec attention. La seconde raison est que je coloriais certaines lettres et qu'on aurait vraiment dit que je m'amusais et que mon stylo bavait. Alors que ce n'était pas le cas. En fait je remplissais tous les ronds des lettres. Les a, les o... Parfois j'avais des pénalités dans ma note à cause de la présentation et puis j'étais en retard, j'étais le dernier à finir d'écrire. Bien après que les autres soient sortis je continuais. C'est sûr vers la fin de mon travail, je pensais tellement qu'il fallait que je me dépêche, que je n'avais plus de tics. Mais enfin tout le long, les trois quart du temps j'étais en train de faire des tics.
C'est alors pour ça qu'on m'a proposé l'ordinateur. En fait, on me l'avait déjà proposé avant mais j'avais refusé. Pendant trois ans, de 12 ans à 14 ans environ, j'ai refusé médicaments, ordinateur, quelque aide que ce soit, et au début, je ne voulais pas que les profs soient prévenus. Mais mes parents ont insisté pour que j'accepte l'ordinateur parce que c'était mieux tout de même, pour la présentation par exemple. Et je refusais que les élèves soient prévenus parce que je voulais toujours être considéré comme tout le monde. Je n'avais pas envie qu'on me regarde ou qu'on me montre du doigt. Et après petit à petit, comme ils me disaient que ça m'aiderait, j'ai compris que ça serait mieux pour mon parcours. J'ai alors accepté ces choses-là : qu'on en parle, et puis d'avoir un ordinateur... et puis plus tard les médicaments. Cela, c'est très récent et à vraiment de minuscules doses. Parce que je préfère me débrouiller par moi-même. J'ai envie qu'on m'aide mais d'un autre côté, j'ai envie d'être indépendant. Cela va avec l'adolescence aussi.
Avec les élèves, j'ai souvent connu beaucoup de gêne en classe. Parfois ils avaient l'impression que je faisais des choses un peu infantiles pour mon âge. Par exemple, pourquoi est-ce que je vais lancer dix fois le stylo en l'air et le rattraper entre mes mains comme ça ? Plein de petits détails comme ça qui gênent un peu les relations avec les autres. Mais dès qu'on leur annonce que j'ai quelque chose, que j'ai des tics, ça change un peu leur regard.
Avec les enseignants, souvent il y avait des problèmes, par exemple avec le raclement de gorge ou le fait que je bouge beaucoup, que je me lève... Même si je dévie ces tics et que ça peut paraître acceptable, au fond c'est plein de petites choses qui se cumulent, et qui font que les profs en ont parfois assez."

 

Qu'est-ce qui t'a aidé vraiment ? Quels sont les aménagements dont tu as bénéficié à l'école ?

« Ce qui m'a beaucoup aidé c'est l'ordinateur...et mes parents. Le tiers temps aussi au brevet. Au lycée, on aurait pu le mettre en place dans mon PPS dès le début. Mais je n'étais pas trop partant pour ça. Donc on a dit qu'on le mettait en place dans un premier temps en physique chimie, pour un contrôle sur trois environ, parce que là ça pêchait. En fait le problème avec le tiers temps, c'est que j'ai besoin de temps quand j'ai les tics. Mais je suis aussi surdoué. J'ai un haut QI et du coup, je suis rapide pour faire les choses. Donc, c'est un peu opposé puisque je devrais être lent mais que je suis rapide en même temps. Parfois je suis rapide, très rapide, je finis avant tout le monde et donc on ne comprend pas pourquoi on me donnerait un tiers temps puisque je finis avant la classe. Et d'autres fois, je suis le dernier et vraiment en retard parce que même s'il n'y a pas grand-chose à faire, je prends beaucoup de temps du fait que je suis obligé de me concentrer pour ne pas faire de tics. Et du coup j'oublie le contrôle. Les profs savent que je suis précoce mais on n'insiste pas trop là-dessus parce que le plus important c'est quand même mes problèmes de tics, et puis ce n'est pas forcément bien perçu par les profs. On le dit mais sans insister vraiment dessus.
Dans mon PPS, comme j'ai l'ordinateur et que ça fait plus lourd dans le sac, j'ai aussi droit à un second jeu de livres. Comme ça j'en laisse certains en classe et je n'ai pas à les rapporter chez moi dans mon sac. J'ai aussi des mini classeurs et les plus gros restent à la maison. Je transvase au fur et à mesure dans les plus gros pour alléger le cartable.
On m'offre aussi la possibilité parfois de sortir des cours pour m'isoler quand j'en ai besoin à cause de mes tics. Je l'ai un peu utilisé au collège, mais là au lycée, non. Ce n'est pas que je n'en ressente pas le besoin mais c'est que vis-à-vis des autres, je n'ai pas envie de me sentir différent. Et même parfois si je ne suis pas bien, si je suis malade, j'ai tendance à ne pas vouloir sortir pour ne pas sortir plus que les autres. Pour sortir moins, même en fait. Cette année, vraiment, je ne veux pas être différent là-dessus."

 

Est-ce que dans la façon dont les professeurs procèdent avec toi, certaines choses t'aident davantage que d'autres ?

« Oui, le fait qu'ils soient moins stricts, qu'ils aient moins d'exigences concernant la présentation. Si parfois ils voient qu'il y a quelques taches, ils ne disent rien parce qu'ils savent que ce sont des tics. Par exemple s'ils voient que je n'ai pas eu le temps de souligner, ils laissent passer alors que pour d'autres ils ne mettraient peut-être pas tous les points pour la présentation. En fait dans ce cas je ne suis pas pénalisé. Enfin, ça, c'était avant que j'ai mon ordinateur. Bien sûr, je n'avais pas les points que les autres pouvaient gagner en présentation, mais je n'en perdais pas non plus ».
 

Est-ce que tous les élèves et tous les professeurs sont informés de ta maladie ? Comment s'est fait l'annonce de ta maladie ?

« Cette année, en seconde, je n'ai pas eu le choix en fait. C'est le lycée qui voulait que j'informe. C'est l'infirmière et le professeur principal qui l'ont fait. Sans donner le nom de la maladie, l'infirmière a expliqué simplement que j'avais des tics, que je pouvais être agité en classe. Elle a expliqué aussi que j'avais besoin d'un ordinateur.

Est-ce qu'au lycée, il y a des moments qui favorisent la survenue des tics ? Des moments où tu te sens plus envahi ?
« Les grands silences en classe. C'est pour ça qu'on pense que je suis agité. Parce que pendant un grand silence, je vais essayer de provoquer du bruit pour cacher un tic. Par exemple, je vais reculer ma chaise et faire un tic vocal à ce moment-là. Les tics vocaux, ce ne sont pas ceux qui me dérangent le plus. Les tics moteurs me dérangent davantage, surtout en sport. Cela fatigue. Déjà, lorsque je suis seul, le fait de faire les tics est fatiguant mais en plus, quand il y a du monde, il faut que je les retienne, que je n'en fasse qu'une petite partie. C'est un peu difficile parfois. Et puis j'ai aussi des tics de pensée. C'est comme des tics vocaux, mais dans la tête.
Il m'est déjà arrivé de m'endormir en cours. Avec les médicaments, je suis un peu moins fatigué. Normalement ils m'aident à limiter les tics. Pour l'instant, je ne vois les effets qu'au niveau mental, mais ça ne fait qu'un mois que je prends le traitement. Tout de même, c'est déjà bien parce que ça me fatigue moins. Parce que ça fatigue mine de rien de réfléchir continuellement ».

Quels sont tes projets ?
« Plus tard je voudrais être trader. L'an prochain je ferai une 1ère S. Pour l'instant ça se passe bien. Mais ce qui est à travailler, c'est la méthodologie. En fait, ce qui est difficile avec moi c'est l'accumulation de la dysgraphie, de la précocité et du SGT. Ça fait beaucoup parfois concernant les méthodes, les aménagements, les adaptations à prévoir et qui entrent en concurrence. Ça fait beaucoup aussi vis-à-vis des professeurs qui sont confrontés aux trois particularités ».

Qu'est-ce qu'il te semblerait le plus important de dire aux enseignants ainsi qu'aux jeunes atteints du SGT et à leurs familles ?
« Je dirais aux professeurs de ne pas être trop « derrière » l'élève. Que l'élève ne soit pas un privilégié et que les autres ne le ressentent pas comme tel. Il ne faut pas le surprotéger. Il m'est arrivé qu'un professeur soit comme ça avec moi, me parle comme à un petit enfant, soit toujours à vérifier ce que je faisais. C'était dur parce que les autres me regardaient tout le temps et que je me sentais plus petit. Surtout, il ne faut pas être trop strict avec un élève atteint du SGT, mais il ne faut pas tout laisser passer non plus. Il ne faut pas être dans les extrêmes.
Aux autres jeunes, je dirais que ce n'est pas une maladie trop grave. C'est très gênant c'est sûr, mais même si c'est tentant au début, il ne faut pas accepter toutes les aides d'un coup : ne pas prendre directement les médicaments, l'ordinateur ; peut-être ne pas l'annoncer tout de suite non plus. Il faut voir avec le temps ce dont on a besoin. Il faut avant tout apprendre à gérer sa maladie. C'est ce que j'ai fait en trouvant par exemple comment dévier mes tics. Au début, pour me battre contre les tics, je devais y penser, sinon le tic sortait machinalement. Le fait que je bloque n'était alors pas machinal. Mais maintenant, c'est devenu presque normal de stopper un tic. C'est gênant mais normal. C'est une gêne habituelle en fait.
Moi en tout cas, même si aujourd'hui j'ai l'impression que ma maladie augmente, j'ai le sentiment que j'augmente aussi mes réponses et que petit à petit, je prends le pas sur elle. Un peu comme si je l'avais apprivoisée ».

Mise à jour des liens 16/03/21

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