Pourquoi la question se pose aux pédagogues
Les troubles de santé invalidants et notamment les maladies chroniques représentent un éventail très large de pathologies et l'on ne saurait trop insister sur le risque qu'il y a à se livrer à des généralisations. On peut noter toutefois que ce type de pathologies comporte le plus souvent aussi bien des aspects visibles que des aspects invisibles. On comprendra ici le terme « visible » au sens courant, la visibilité de la maladie n'étant pas la même selon qu'on est médecin et qu'on peut repérer les indicateurs et signes de la maladie par l'examen du malade, ou membre de la communauté éducative en général.
La prise en compte des répercussions scolaires des aspects visibles de la maladie en termes de démarches pédagogiques adaptées comporte pour l'élève malade des enjeux d'inclusion en général dans la communauté scolaire mais aussi des enjeux d'apprentissage. Si les aspects « visibles » de la maladie ne sont pas toujours corrélés à des obstacles cognitifs aux apprentissages ou/ et à une poursuite de scolarisation (réussie), ils constituent un « stigmate » avec lequel l'élève doit composer. Ses incidences sur la scolarité tant sur le plan des apprentissages que sur celui de l'inclusion scolaire en général ne doivent pas être sous-estimées.
Quelles sont les conséquences sur la scolarité de l'élève malade de l'existence des aspects visibles de sa maladie ? Comment l'enseignant peut-il prendre en compte cette problématique afin d'adapter ses pratiques pédagogiques ? Quels sont les points de vigilance ?
Les aspects visibles : quelques exemples
Ce qu'on peut considérer comme des signes visibles de la maladie constitue l'ensemble des éléments « perceptibles », non seulement ce que l'on voit mais aussi ce que l'on entend, ce que l'on sent ou pressent quand on rencontre une personne malade... La diversité des manifestations est très grande et peut aller d'une simple pâleur à une apparence physique fortement altérée au regard de la norme.
Certains stigmates renvoient clairement à l'existence d'un trouble de santé ou une maladie perçue comme « grave » : ils peuvent consister en caractéristiques physiques hors norme comme un retard staturo-pondéral, une voix qui n'a pas mué, ou être liés à des transformations physiques brutales (variations de poids, chute de cheveux), à l'existence de crises (épilepsies, asthme), à des limitations sensorielles ou motrices ou encore à la présence de pansements, de prothèses ou de matériel médical (masque, béquilles, fauteuil...).
D'autres pathologies sont décelables à des signes plus discrets : pâleur, fatigue, ralentissement... À tort parfois, on pense alors que dans ce cas l'affection est bénigne. Pourtant le caractère spectaculaire de ces manifestations de la maladie n'est pas corrélé à la gravité du trouble de santé. Ainsi faut-il être prudent dans l'interprétation à donner à ces signes « visibles ».
Visibilité de la maladie : la reconnaissance et l'acceptation par soi et les autres du statut de malade
1- Pour l'élève malade
On peut constater différentes réactions de la part des élèves malades face à la visibilité de leur statut de malade.
L'existence de signes visibles est en général une véritable hantise : se montrer malade (d'autant plus que la maladie est grave et durable) est une expérience quotidienne éprouvante, surtout pour des élèves qui ne sont pas atteints dès l'enfance. À leurs yeux, il s'agit d'exposer une anormalité, une laideur, une monstruosité, une vulnérabilité. On constate en général chez la plupart de ces élèves une volonté de cacher à tout prix la maladie. Ils prennent souvent très mal toute allusion à leur état de santé. Certains préfèrent mentir, s'absenter de l'école plutôt que d'exposer des symptômes (vomissements, utilisation de béquilles, plâtres). Pour cette catégorie de jeunes malades, cacher même des signes très discrets peut constituer une obsession, comme par exemple dissimuler une cicatrice. À des positions de retrait scolaire s'oppose parfois au contraire la volonté de se montrer « fort » ; cet affichage de puissance peut même aller jusqu'à des prises de risques (trajets en fauteuil sur des itinéraires à risque, participation à des bagarres malgré le port d'un cathéter...).
Certains jeunes malades peuvent multiplier, pour compenser ce qu'ils vivent comme une marginalité, toutes les attitudes et signes d'appartenance au groupe, caricaturant tous les signes de normalité générationnelle. Des jeunes filles par exemple multiplient les signes de coquetterie et peuvent se maquiller outrageusement, des garçons arborer des coiffures, tenues et des accessoires prouvant leur force physique.
Certains élèves peuvent néanmoins vouloir au contraire ne pas dissimuler leur maladie, voire attirer l'attention sur leur état, soit qu'ils en espèrent des bénéfices secondaires, soit qu'ils ont fini par en assumer les stigmates et ont accepté cet état.
2- Pour les pairs
L'importance accordée à l'apparence, au « look » chez les jeunes élèves et les collégiens est majeure : ils sont particulièrement attentifs à tout signe extérieur qui distingue un camarade de la norme. Aussi les aspects visibles de la maladie d'un camarade malade sont-ils immédiatement repérés, même si les élèves n'osent pas toujours en parler et questionner à ce sujet.
Il s'agit en général d'un tabou qui gêne l'instauration d'une relation naturelle avec l'élève malade. L'existence de la maladie, du statut de malade décelé(e), elle rencontre chez les élèves des représentations parfois erronées qui suscitent des craintes importantes comme la peur de la contamination ou celle de la mort de leur condisciple, qui les renvoie à l'idée de leur propre mort. Ces craintes sont susceptibles d'entraîner des attitudes de moquerie, de rejet voire d'ostracisme ou au contraire de générer un désir d'aider, entraînant des attitudes de surprotection. Lorsque le jeune malade est bien connu du groupe, il peut également devenir un leader, une « mascotte ». Dans tous les cas, il reste souvent considéré comme un élève « à part ».
3- Du côté de l'enseignant
Les enseignants, même bien informés, sont eux aussi susceptibles d'être ébranlés par les signes visibles de la maladie de leur élève. La peur d'être trop exigeant, le désir de protéger sont des attitudes courantes et naturelles qui méritent toutefois d'être interrogées. Elles présentent le risque de renforcer la stigmatisation de l'élève, considéré alors comme encore plus vulnérable, voire privilégié indûment.
Il est souhaitable que les enseignants puissent clarifier leur propre ressenti et analyser les échos avec leur vécu personnel afin de mieux accueillir l'élève et prendre en compte les inquiétudes du groupe classe.
Que faire ?
1- S'informer et informer pour rassurer
Il est important de prendre en compte les craintes légitimes de tous les acteurs et de faire évoluer les représentations. L'élève malade ne doit pas se sentir exclu et la vigilance s'impose quant aux réactions des camarades et de l'ensemble de la communauté scolaire concernant sa visible différence.
Toute l'équipe éducative doit être impliquée dans l'accueil de l'élève malade. La cohérence dans l'attitude de l'ensemble des adultes est une condition nécessaire pour engager les élèves à accueillir l'élève d'abord comme un camarade de classe et non d'abord comme un malade. Une information de tous en amont ou au moment de l'accueil de l'élève est nécessaire.
Où s'informer?
a- Documents et sites Web
Une connaissance du dossier scolaire de l'élève est utile et ce dossier doit pouvoir être consulté.
Des éléments précieux figurent dans le Projet d'Accueil Individualisé de l'élève (PAI) : ce document doit être accessible et porté à la connaissance de l'équipe éducative. Certains élèves bénéficient d'un Projet Personnalisé de Scolarisation (PPS) qui doit être connu des acteurs de la scolarisation. Outre le site "Tous à l'école", des sites médicaux, pédagogiques ou associatifs sont aussi une source intéressante d'information (voir les liens sur notre site).
b- Auprès des professionnels de santé
Il ne faut pas hésiter à solliciter l'infirmière et le médecin scolaire ou les professionnels du Sessad (Service d'Éducation Spéciale et de Soins à Domicile).
c- Auprès des enseignants ayant accompagné l'élève
Il peut s'agir des enseignants de l'établissement ou de la structure scolaire d'origine. Des contacts avec le ou les enseignant(s) des années précédentes permettent la plupart du temps de recueillir des informations pédagogiques rassurantes quant aux capacités des élèves et aux aménagements à mettre en place. Des liens peuvent être établis avec les enseignants exerçant à l'hôpital et en Sapad (Service d'assistance pédagogique à domicile).
À quelles conditions des informations sur les incidences scolaires de la maladie peuvent-elles être données ?
Il est essentiel de savoir que les informations concernant les répercussions au plan scolaire ne peuvent être données que sur demande de l'élève malade et de sa famille.
À cette condition, l'infirmière et le médecin scolaires ou les professionnels du Sessad peuvent parfois organiser des réunions d'information, notamment en début d'année. Ils peuvent éventuellement contacter un médecin spécialiste, ou un professionnel de santé spécialisé dans le type de maladie considéré (toujours avec l'accord préalable de l'élève et de sa famille quant à la tenue, aux modalités et au contenu de ces séances d'information). Dans ce cas, il est bien sûr question de fournir une information présentée comme généraliste concernant la maladie dont est atteint l'élève et non de présenter son cas particulier. A noter qu'il est nécessaire de différencier deux types de séances d'information : celles destinées aux membres de l'équipe éducative et celles destinées aux élèves.
Certains élèves malades peuvent souhaiter présenter eux-mêmes leur pathologie et ses conséquences à leurs camarades et leurs professeurs ou s'associer aux professionnels intervenant dans une présentation. Ces modalités sont parfois plus efficaces qu'une intervention des seuls professionnels de santé.
2- Dialoguer, apprendre à se connaître
Une information préalable peut certes lever des inquiétudes mais ne saurait suffire ni se substituer à l'instauration d'un dialogue régulier avec l'élève malade, expert de sa maladie et en général capable d'informer au jour le jour l'enseignant de ses conséquences. Le même dialogue doit être instauré et entretenu avec la famille.
Quant aux élèves de la classe de l'école, collège ou lycée, c'est en travaillant avec leur camarade autour de projets communs, où ce dernier peut montrer ses compétences, qu'ils vont apprivoiser leur peur ou leur pitié face aux marques de la maladie, et qu'ils pourront oser lui poser les questions « gênantes », qui sont d'ailleurs parfois plus gênantes pour eux que pour lui.
3- Utiliser la médiation didactique
Les programmes scolaires permettent d'aborder indirectement les problématiques liées aux aspects visibles de la maladie. Les cours de SVT et d'éducation civique offrent un cadre évident, et peuvent permettre en outre à l'élève malade de montrer ses connaissances et son expertise face à certaines notions abordées.
Dans le cadre des cours de français, l'étude de la littérature, des albums de jeunesse, sont de bons supports à une réflexion sur les questions de « stigmate », de souffrance, de peur de la mort. Les travaux d'écriture sur le portrait par exemple, l'écriture poétique, sont susceptibles de permettre aux élèves d'aborder ces interrogations qui les préoccupent face à leur camarade.
Les disciplines artistiques et toutes les activités d'expression en général peuvent donner lieu à des consignes ou propositions axées sur des thématiques en lien avec les questions existentielles que la maladie visible suscitent (transformation, métamorphoses, visible/invisible, face cachée). Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les activités théâtrales, si elles sont pensées avec précaution, sont utiles dans un groupe où se trouve un élève visiblement malade. La prise de rôle, le changement de rôle avec les costumes, les accessoires favorisent le changement d'identité.
De manière générale mettre l'élève malade en situation de montrer ses ressources est non seulement utile pour la poursuite de ses apprentissages mais un facteur majeur pour faire évoluer le regard que portent les autres sur son statut d'élève malade.
Collaboration avec un AESH
Quand l'élève est accompagné par un AESH (Accompagnant d'Elève en Situation de Handicap), la collaboration avec celui ou celle-ci permet d'adapter au mieux les situations d'apprentissage dans leur diversité (en classe et en sortie scolaire) et d'aménager la vie quotidienne à l'école.
Pour conclure, si le caractère spectaculaire de certaines manifestations impacte la vie scolaire, il en va de même des aspects invisibles qui ne doivent pas être négligés. Le visible cache l'invisible : certaines pathologies qui ne présentent pas ou peu de signes perceptibles peuvent entraver considérablement l'accès aux apprentissages (Voir fiche "Aspects invisibles de la maladie")
Récapitulatif des mesures à privilégier
- Avoir conscience que tout signe visible, même discret de la maladie, peut être vécu comme un problème majeur.
- Prendre en compte les représentations et les craintes des camarades, en levant les tabous par la médiation didactique (français, SVT, disciplines artistiques, éducation civique : égalité pour tous, non-discrimination)
- S'informer auprès des professionnels de santé et des enseignants ayant accompagné l'élève.
- Se conformer aux préconisations du PAI ou du PPS.
- Veiller aux modalités d'une éventuelle information sur les répercussions scolaires de la maladie (accord obligatoire de l'élève et de sa famille).
- Ne pas négliger les répercussions des aspects invisibles de la maladie.
16/03/21
Circulaire n° 2017-084 du 3-5-2017: Missions et activités des personnels chargés de l'accompagnement des élèves en situation de handicap
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